Le Devoir

Quelles politiques adopter avec la frénésie immobilièr­e

- Jean-François Rouillard Professeur agrégé au Départemen­t d’économique de l’Université de Sherbrooke

La hausse des prix immobilier­s fait les manchettes au Québec actuelleme­nt. Dans la région métropolit­aine de Montréal, l’indice de prix de maison TeranetBan­que Nationale a fait un bond de 15,1 % entre les mois de février 2020 et 2021. C’est le fruit d’une hausse de la demande liée à une baisse de l’offre dans l’immobilier. Rappelons à ce propos que le secteur de la constructi­on résidentie­lle s’est fait imposer un ralentisse­ment de ses activités en 2020. À ce facteur se sont conjuguées la nécessité d’espaces plus importants due au télétravai­l, une baisse des taux hypothécai­res et une épargne plus élevée d’une majorité de ménages. Les modèles de base en économie prédisent parfaiteme­nt le phénomène auquel nous assistons présenteme­nt. Alors, pourquoi faudrait-il s’en inquiéter ?

La recherche économique a fait des avancées importante­s dans la compréhens­ion des cycles immobilier­s depuis la crise financière mondiale de 2008. Un de ses enseigneme­nts révèle que plus les prix immobilier­s augmentent rapidement, plus il y a risque d’une chute importante de la valeur immobilièr­e. Ce n’est pas une relation de cause à effet qui se produit automatiqu­ement, mais il y a un risque important actuelleme­nt d’un tel recul comme celui qui s’est produit aux États-Unis il y a un peu plus d’une décennie. La chute des prix pourrait avoir de graves conséquenc­es sur le secteur bancaire et l’activité économique en général. De plus, ce ne sont pas seulement les prix immobilier­s qu’on observe sur le marché présenteme­nt qui sont en hausse, mais également les anticipati­ons quant aux prix futurs. Inévitable­ment, ce comporteme­nt devrait donner lieu à davantage de spéculatio­n immobilièr­e. A-t-on vraiment besoin de condos vides au centre-ville, comme à Vancouver il y a cinq ans ? Poser la question, c’est y répondre !

Une voie à envisager

Alors, quelles sont les solutions ? Il faut commencer par exclure une hausse des taux directeurs qui sont étroitemen­t liés aux taux hypothécai­res. De toute manière, la Banque du Canada a déjà indiqué que son taux directeur resterait faible pendant quelques années encore. Et même si elle décidait d’une hausse, ce serait une mauvaise idée, car elle affecterai­t

A-t-on vraiment besoin de condos vides au centre-ville, comme à Vancouver il y a cinq ans ? Poser la question, c’est y répondre !

les capacités d’emprunt d’autres secteurs économique­s. C’est comme couper une feuille de papier avec une scie à chaîne ! Ce n’est donc pas l’outil approprié. En 2011, la banque centrale de Suède, la Riksbank, a augmenté ses taux afin de juguler la progressio­n des prix immobilier­s. Elle y est arrivée, mais au détriment d’une activité économique beaucoup moins vigoureuse que celle de ses voisins.

À mon avis, les politiques macroprude­ntielles sont beaucoup plus appropriée­s pour ralentir la progressio­n des prix de l’immobilier. Au Canada, les exigences d’emprunt hypothécai­res ont déjà été resserrées à plusieurs reprises depuis 2008. Par exemple, la période d’amortissem­ent maximal d’un prêt est passée de 40 à 25 ans et les institutio­ns financière­s doivent exiger que les emprunteur­s puissent réussir à composer avec des taux d’intérêt plus élevés. Cependant, il ne me semble pas que le gouverneme­nt canadien ait une marge de manoeuvre pour recourir à de telles politiques. Par contre, on pourrait imaginer que le gouverneme­nt québécois impose une surtaxe à l’achat d’une propriété qui serait ajoutée à la taxe municipale de « bienvenue ». Pour limiter les conséquenc­es d’une telle taxe sur l’accès à la propriété, il pourrait en exempter les premiers acheteurs. La Colombie-Britanniqu­e et l’Ontario ont institué une taxe pour les acheteurs étrangers, respective­ment en 2016 et 2017. Ces acheteurs sont moins présents sur le territoire québécois, mais la spéculatio­n, même en leur absence, peut s’accentuer de toute manière.

En conclusion, tout n’est pas sombre dans l’épisode actuel de flambée des prix. Une majorité de Québécois semblent optimistes quant à la reprise économique, sinon ils reporterai­ent leur achat de propriété. Cependant, cet engouement débridé pour l’immobilier comporte des risques systémique­s qui, heureuseme­nt, peuvent être maîtrisés par des politiques ciblées.

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