Revenu de base : le Québec se démarque déjà
Les programmes gouvernementaux de soutien du revenu des personnes financièrement touchées par la pandémie incite à revisiter le modèle empruntant au revenu de base garanti. L’actuelle apathie quant à l’explosion de l’endettement public dans un environnement de taux d’intérêt à des creux historiques contribue également à alimenter la réflexion, voire à multiplier les projets pilotes. À l’échelle canadienne, les observations du directeur parlementaire du budget (DPB) publiées la semaine dernière nous présentent à cet effet une géopolitique contrastée laissant un tel choix au rang de la rhétorique.
L’idée d’instaurer une allocation universelle, un impôt négatif ou toute autre forme de revenu minimum garanti est difficilement consensuelle et fait encore moins l’unanimité. Dans une synthèse publiée en mai 2017, l’Organisation de la coopération et du développement économiques (OCDE) retient qu’un transfert public universel, accordé de manière inconditionnelle et individuelle, présenterait l’avantage d’être simple et de ne laisser personne sans soutien.
La pertinence est d’autant plus grande qu’il s’inscrit dans un environnement socioéconomique faisant ressortir un creusement des inégalités et un essor des emplois atypiques amplifié par la numérisation et la multiplication des exclus de l’automatisation.
Cela dit, « un transfert accordé à chacun sans condition et fixé à un niveau pertinent, mais réaliste d’un point de vue budgétaire, exigerait un alourdissement de la fiscalité et des réductions de prestations existantes, sans être nécessairement un outil efficace pour réduire la pauvreté ». Selon le modèle redistributif des économies observées, « certains groupes défavorisés seraient perdants si les prestations existantes étaient remplacées par un revenu de base véritablement universel », ajoute l’OCDE, qui priorise une approche par ciblages et par phases dans un objectif de partage équitable « des fruits de la croissance économique ».
Le DPB a présenté, la semaine dernière, les résultats de l’exercice qui l’avait mené à publier ses premières estimations en juillet 2020. Il expliquait avoir appliqué à l’échelle du Canada les paramètres stratégiques du projet pilote de l’Ontario, qui garantissait aux particuliers et aux couples un revenu annuel jusqu’à concurrence de 75 % de la mesure de faible revenu. Cet avantage est éliminé progressivement, à raison de 0,50 $ pour chaque dollar de revenu tiré d’un emploi. L’exercice repose sur des coûts bruts entièrement compensés par l’élimination de nombreux crédits d’impôt remboursables et non remboursables et par l’annulation des programmes fédéraux et provinciaux destinés aux particuliers et aux familles à faible revenu.
Bref, en moyenne, plus de 6,4 millions de personnes, soit 16,4 % de la population canadienne, verraient ainsi leur revenu disponible augmenter alors que 16,8 millions subiraient une perte de revenu nette. Ainsi, pour chaque personne profitant du revenu de base garanti, deux personnes et demie seraient perdantes. Avec une incidence nette sur le revenu disponible des ménages affichant une hausse moyenne de 49,6 % dans le premier groupe, contre une baisse de 5,4 % dans le second. « Cette perte est subie quand les personnes qui travaillent activement voient leur impôt à payer augmenter à cause de l’élimination de nombreux crédits d’impôt et d’un transfert relativement bas du revenu de base garanti. »
Le Québec fait déjà bien
On retient aussi que le taux de pauvreté chuterait de près de la moitié en 2022, mais là encore, l’incidence du revenu de base sur la pauvreté contraste fortement d’une province à l’autre. Selon la mesure du panier de consommation, la réduction de la pauvreté varie de -13,5 % à Terre-Neuve-et-Labrador à -61,9 % au Manitoba. Le Québec suit avec une réduction de 60,4 %. Aussi, c’est au Québec où l’on observe l’une des incidences les plus faibles du revenu de base sur le revenu disponible au bas de l’échelle des quartiles. Ces écarts d’une province à l’autre rappellent « que de nombreuses personnes à faible revenu qui habitent au Québec se situent près de la limite supérieure du seuil de pauvreté », indique le DPB.
On rejoint, ici, l’un des constats retenus par le comité d’experts sur un revenu minimum garanti mandaté par Québec, qui concluait notamment en 2017 que « globalement, les Québécois bénéficient d’un système de soutien du revenu représentant une aide notable, couvrant les principales étapes de la vie durant lesquelles un citoyen risque de se trouver placé dans une situation de vulnérabilité ». Ou « que le système de soutien du revenu existant au Québec, pris dans son ensemble, rejoint en partie la définition d’un revenu minimum garanti retenue par le comité dans son rapport d’étape ».
Pour conclure que les formes absolues ou complètes de revenu minimum « soulèvent d’importants problèmes d’équité, d’incitation au travail ou d’acceptabilité sociale », ajoutait le comité. Et de suggérer que « l’intégration au marché du travail se veut la façon la plus durable et la plus efficiente de soutenir le revenu ». Ainsi, les programmes ou les mesures favorisant ou accompagnant l’emploi, avec soutien du revenu et aide à la famille, se démarqueraient.
La théorie microéconomique néoclassique conclut d’ailleurs qu’il serait efficace de hausser les salaires et non de miser sur l’appauvrissement afin d’inciter davantage de gens à entrer sur le marché du travail, dit-on.