L’hôtel de ville de Sept-Îles dans la mire de Québec
Le ministère de la Culture et des Communications (MCC) désapprouve l’intention de l’administration municipale de Sept-Îles de se débarrasser de son hôtel de ville. Dans une lettre officielle datée du 24 mars dernier, le MCC déplore que la ville de la CôteNord s’engage dans cette direction.
Dès le lendemain, le maire, Réjean Porlier, exposait néanmoins à ses concitoyens ses visées pour la construction d’un nouvel hôtel de ville, à l’occasion d’une conférence de presse diffusée en ligne, tout en rejetant les objections formulées par Québec. À la réunion du conseil municipal du 12 avril, le maire a répété qu’il n’avait pas l’intention d’entretenir deux bâtiments, puisque son administration a décidé d’en construire un nouveau. Il refuse du même souffle de reconnaître la valeur patrimoniale de l’édifice actuel.
Dans sa lettre adressée à Sept-Îles, le MCC affirme avoir « été informé du projet de démolition de l’hôtel de ville de Sept-Îles », comme Le Devoir l’avait expliqué dès décembre 2020. Le MCC dit ne pas s’expliquer comment Sept-Îles a pu faire ce choix « malgré l’évaluation patrimoniale réalisée par la firme PatriArch en 2020 qui conclut à un intérêt patrimonial supérieur du bâtiment ». La même lettre indique que « le ministère déplore cette décision ». Malgré tout, le maire Porlier persiste à donner de ce rapport une lecture différente de celle des experts du ministère et de spécialistes.
Le document a été conservé par la municipalité durant des mois, avant d’être rendu accessible sur demande seulement.C’est par ailleurs en ayant recours à la Loi sur l’accès à l’information que la lettre de l’État québécois adressée à la municipalité a été obtenue dans son intégralité par des citoyens.
Mieux veiller
La sous-ministre Marie Gendron, remplacée depuis par Jean-Jacques Adjizian, a rappelé par écrit à la municipalité qu’elle pourrait mieux veiller au patrimoine bâti sur son territoire, en prenant part notamment à un programme lancé par la ministre Nathalie Roy. « Ce programme pourrait permettre à la Ville de Sept-Îles de contribuer davantage à la préservation de son patrimoine bâti. »
Le MCC encourage la municipalité de Sept-Îles à citer, en vertu de la Loi sur le patrimoine, son hôtel de ville. « Nous vous encourageons à procéder à la citation ainsi qu’à la restauration de votre hôtel de ville, un bâtiment d’architecture moderne qui se démarque à l’échelle de votre municipalité. » Selon le MCC, la responsabilité du patrimoine doit être partagée avec les municipalités. Le ministère offre donc en outre son aide pour accompagner la municipalité dans ces démarches.
Le maire Porlier retient uniquement de cela que l’État ne souhaite pas classer le bâtiment, ce qui à son avis lui donne les coudées franches. Interrogé par TVA le 30 mars, le maire s’est montré soulagé, sans indiquer que Québec recommandait à sa municipalité de protéger lui-même ce lieu. « S’il avait fallu que le ministère vienne dire oui, on le classe patrimonial, on avait certaines inquiétudes. » Il parlait à cet égard « de coûts énormes ». Le maire de Sept-Îles avait expliqué en décembre au Devoir qu’il n’y avait pas, « à sa connaissance », de bâtiments cités pour fin de protection dans toute sa municipalité et qu’il n’avait pas l’intention d’user de la loi non plus pour protéger un hôtel de ville pour lequel il manifeste peu d’intérêt. « Beaucoup de gens, chez nous, nous disent : “A’ fait dur [la bâtisse].” Pis a’ fait pas juste dur parce qu’elle a pas été rénovée… »
Réjean Porlier a annoncé depuis qu’il ne sollicitera pas un nouveau mandat lors des élections municipales cet automne. Mais son projet de remplacer l’hôtel de ville continue d’avancer. Au Conseil municipal, le maire affirme d’ailleurs continuer d’être attentif aux besoins de terrain exprimés par le CISSS local.
Outrage social et urbain
Plusieurs sommités en architecture ont regretté le peu de cas que fait Sept-Îles de cet édifice construit au début des années 1960 par ARCOP, une firme plusieurs fois primée, à qui l’on doit notamment la Place Ville-Marie, la Place des Arts et la Place Bonaventure à Montréal. L’architecte Phyllis Lambert, fondatrice du Centre canadien d’architecture, considère que l’action de l’administration constitue « un outrage social et urbain ». L’édifice a aussi suscité l’attention de l’organisme Docomomo, voué à la préservation du patrimoine moderne.
Le citoyen Mario Dufour continue de déplorer que la municipalité mette de côté un de ses bâtiments les plus importants, tout en demeurant à la remorque des besoins de l’hôpital voisin en matière d’occupation de l’espace. « Deux ministères se battent sur le même terrain. Celui de la Culture, qui recommande de garder l’édifice ; et celui de la Santé, qui a travaillé pour le laisser aller », en vue de l’agrandissement du CISSS local.