L’art de (bien) vieillir, la chronique de Josée Blanchette
Promenade au pays des lambins
Toute ma vie, j’ai appris des plus vieux que moi, trouvé refuge auprès de leur expérience pour me guider dans bien des domaines. Mon grand-père fut mon premier vieux : « La vie est un combat, ma petite. »
Sa petite phrase m’accompagne toujours. Sa lenteur de paysan aussi. Cette façon de marier l’humour avec la tragédie, les bobos, le gin tonic et le temps qui finit par passer. Même sa mort, il me l’a enseignée. Un legs immense de lâcher-prise.
Je continue à apprendre des vieux. Comme disait l’autre (et Bette Davis aussi) : « Old age sure ain’t for sissies. » Vieillir, ce n’est pas pour les moumounes. On commence à s’en rendre compte. Avec cette pandémie, on a découvert « les vieux ». Il était temps que notre hypocrisie soit dénoncée, temps de voir que nous étirons la vie (médicalement parlant) de gens âgés pour mieux les écarter de la vie ensuite. Quel paradoxe !
Depuis quelques semaines, je suis plongée dans des ouvrages écrits par des têtes grises et blanches. J’aurais pu m’en tenir aux philosophes grecs, mais je rajeunis le répertoire.
Une cohorte d’intellos moins jeunes prend le crachoir pour nous rappeler leur présence et nous éclairer sur ce qui nous attend si l’âgisme ambiant fait des petits.
J’ai d’abord fréquenté Laure Adler et La voyageuse de nuit, dernières déambulations au pays de la vraie liberté, celle où on n’attend plus rien de
Picasso disait qu’on met très longtemps à être jeune. Je le crois. Je constate depuis toujours un certain détachement chez les vieux, lequel me donne espoir.
Depuis quand tu es vieux ? Depuis demain.
ELIAS CANETTI
Je suis désormais un vieux lambin
BERNARD PIVOT, … MAIS LA VIE CONTINUE
Et on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens, mais dans l’oeil du vieillard on voit de la lumière
VICTOR HUGO
vous. « Cela suppose un humour certain, une santé de fer, du courage, une prise de distance. La vieillesse ni comme un destin tragique ni comme un ensommeillement généralisé, mais comme un art de vivre. »
Dans ce livre fragmenté, la célèbre journaliste/autrice et animatrice de L’heure bleue, sur France Inter, se confie sur l’âge, elle qui n’est encore qu’une jeune septuagénaire. Elle reprend autrement la phrase de mon grand-père Alban, « Vivre sa vie a toujours été un métier difficile, vivre le rapport au temps qui passe devient un sport de combat. »
Car, note-t-elle plus loin : « Vieillir, est-ce accepter de perdre petit à petit le bénéfice de l’attention des autres ? »
Emmurons-nous vivants ceux qui nous ont précédés en les dépossédant du lien social qui nous fait si cruellement défaut à tous depuis un an ?
… mais la vie continue
J’aurais aimé connaître mon père en vieux. Il aurait eu 85 ans le mois prochain. J’ai eu une pensée pour le 18e anniversaire de sa terrible disparition cette semaine.
La peine ne devient-elle jamais adulte ? Sommes-nous jamais des vieillards ou simplement un modèle vintage qui rouille un peu en faisant teuf teuf ?
Picasso disait qu’on met très longtemps à être jeune. Je le crois. Je constate depuis toujours un certain détachement chez les vieux, lequel me donne espoir.
Passés 80, ils observent la vie de plus haut, avec un rien de bof. J’ai croisé mon amie Louise Latraverse au théâtre la semaine dernière. Elle m’a glissé : « J’ai apprivoisé le rien », comme si elle avait appris le mandarin en sacrant. J’ai saisi cette réflexion de moine au vol.
Dans son récent roman, … mais la vie continue, Bernard Pivot se désole du peu d’égard envers les vieux, mieux traités autrefois. « Peut-être aussi parce qu’ils étaient moins nombreux et qu’ils dégageaient plus tôt.
Enfin, le jeunisme, mot qui n’existait pas, n’était pas encore une valeur souveraine, créant un apartheid de l’âge. »
Pivot se confie aussi sur la sexualité (vendanges tardives) et j’adore ses expressions vieille France et surannées : « On comprend dès lors pourquoi les vieux hommes ont des pudeurs de petites cuillères lorsque la conversation vient à rouler sur la sexualité. » Pour sa part, il constate que sans amour, impossible de le faire.
Nous avons tout à repenser de ce fossé, tout à remettre en place du fil intergénérationnel qui nous lie. Si nous n’incluons pas à l’avenir ceux qu’on appelle « les vieux », nous sommes condamnés à répéter le passé.
« Vous allez comprendre en vieillissant qu’on a besoin des vieux. Un jour, ils vont en avoir besoin, de nos valeurs. Pour passer à travers la vie », nous prévenait l’archéologue Yolande Simard Perrault dans la formidable série documentaire L’industrie de la vieillesse.
La veuve du cinéaste Pierre Perrault est décédée à l’âge de 91 ans, peu après avoir enregistré ces réflexions du grand âge. J’ai eu honte de nous lorsque je l’ai entendu dire : « Je n’ai eu que du plaisir à vivre. Mais vivre ce que je vis là, c’est bien moche. »
Vieillir avec panache
On dit qu’on meurt comme on a vécu. « Mourir, cela n’est rien / Mourir, la belle affaire ! / Mais vieillir, oh vieillir », chantait Brel.
Que de Gaulle y vit un naufrage, ça donne une idée de la croisière. Jocelyne Robert, la sexologue déjà arrièregrand-mère, y voit plutôt l’occasion d’échanger son droit d’aînesse contre un plat de jujubes multicolores.
Dans son essai Vieillir avec panache, elle se réclame du mot « vieille » et n’a rien à cirer des euphémismes. « J’ai l’impression qu’un grand love-in à l’égard des personnes âgées fragilisées est en train d’émerger. » Mais elle se méfie aussi des élans soudains et de l’oubli précoce. Que retiendrons-nous de cet épisode covidien ?
Jocelyne Robert souligne la double contrainte à laquelle on nous condamne : « Pas le droit de vieillir et pas le choix de ne pas vieillir. De quoi devenir dingue ! » La sexosophe en appelle à une révolution. « Après la révolution sexuelle, la révolution des femmes, la Révolution tranquille, la révolution technologique, pourquoi pas la révolution des vieux et des vieilles ? » Elle propose un Old Pride, une parade de la fierté ridée.
Un tableau (IPSOS, 2019) présenté à la fin de son livre montre le sentiment de responsabilité envers les vieux parents selon les cultures.
Les Chinois ? 82 %.
Les Canadiens ? 44 %. La courtepointe des générations s’est effilochée avec la cohorte de mes parents. Mais dans dix ans, le quart des Québécois, dont ceux qu’on traite de « OK boomers », aura plus de 65 ans.
OK X, OK Y ?