L’azuré commun, ce visiteur venu d’Europe
L’azuré commun, maintenant bien implanté au Québec, colonise le reste du Canada
Si vous habitez Montréal ou sa périphérie, vous avez très probablement croisé ces dernières années un délicat papillon aux ailes d’un bleu d’azur sur le dessus et d’un beige tacheté d’orangé sur le dessous. Il s’agit de l’azuré commun (Polyommatus icarus), un papillon exotique.
Ce lépidoptère nous vient d’Europe, où il est présent de la Finlande jusqu’au nord de l’Afrique. Il a été vu pour la première fois en Amérique en 2005, dans la région de la métropole.
Il ne cesse depuis de proliférer et de coloniser de nouveaux territoires. Des chercheurs de l’Université d’Ottawa ont donc étudié son comportement afin d’évaluer les effets qu’il pourrait avoir sur l’agriculture et sur les papillons indigènes.
La petite bête aurait été introduite en terre québécoise par « des bagages ou des marchandises en provenance d’Europe, voire des chaussures de voyageurs », car les tout premiers spécimens de l’espèce ont été observés à proximité de l’aéroport Pierre-ElliottTrudeau de Montréal, « l’épicentre de sa dispersion », résume la chercheuse Stéphanie Rivest, qui s’intéresse à ce papillon dans le cadre de son doctorat à l’Université d’Ottawa.
« L’intensification du transport de masse entre les différentes régions du monde augmente la probabilité que des espèces végétales et animales s’implantent hors de leur lieu d’origine », souligne d’ailleurs la doctorante.
Ces quinze dernières années, l’azuré commun s’est donc très bien établi à Montréal, au point d’y proliférer, comme en témoigne le nombre d’observations relatées sur les sites grand public eButterfly et iNaturalist. En 2018, Stéphanie Rivest en a d’ailleurs capturé près de 5000 en quatre semaines sur un territoire de 6 km à Saint-Brunode-Montarville.
Et il y a trois ans, des spécimens ont commencé à être répertoriés à Toronto, ce qui indique que l’espèce avait passablement étendu son aire de distribution.
Prendre les devants
Depuis 2017, le groupe de recherche dont fait partie Stéphanie Rivest s’applique à mieux comprendre l’habitat de prédilection de l’azuré commun et son aptitude à coloniser de nouveaux lieux. Le tout afin de prédire comment son territoire va s’étendre, à quelle vitesse, et quelles en seront les conséquences.
« Les chenilles de Polyommatus icarus se nourrissent d’une plante particulière, le lotier corniculé (Lotus corniculatus), qui a été introduite en Amérique du Nord au milieu du XVIIIe siècle et qui est maintenant présente dans toutes les provinces canadiennes », explique la chercheuse. Cette plante est très abondante dans les villes et les banlieues : c’est donc pour cette raison que l’on retrouve souvent l’azuré commun dans les zones urbaines et semiurbaines, le long des sentiers ou en bordure de route.
En étiquetant certains spécimens de ce papillon, la jeune chercheuse a pu évaluer sa capacité de vol et constater qu’il ne se déplaçait en moyenne que de 100 à 200 mètres par jour, d’un kilomètre au maximum. « Cela ne veut toutefois pas dire que ces papillons pourraient migrer à raison d’un kilomètre par jour. Mais ils pourront se répandre et s’établir partout où ils trouveront de la nourriture », explique Mme Rivest.
Répercussions potentielles
Conscients des risques que posent les espèces exotiques sur leur écosystème d’adoption, les chercheurs de l’Université d’Ottawa s’affairent à évaluer les répercussions potentielles de l’azuré commun dans les autres zones urbaines du pays. « Nous savons qu’il préfère le lotier corniculé [qui est une légumineuse], mais s’il devient trop abondant, sa chenille pourrait peut-être se tourner vers les cultures de légumineuses — soya, fèves, luzerne et pois chiches », estime la chercheuse.
« Ce n’est pas certain qu’il aura de tels impacts négatifs, mais nous tentons d’évaluer le risque et, pour ce faire, il nous faut collecter des données », souligne celle qui est aussi l’autrice principale d’une première publication scientifique sur l’arrivée de ce papillon au Canada.