Le Devoir

Le peuple iranien attend notre soutien

La communauté internatio­nale sera-t-elle au rendez-vous pour accompagne­r cette société en changement ?

- Ingrid Betancourt Personnali­té politique franco-colombienn­e, ancienne sénatrice et candidate à l’élection présidenti­elle colombienn­e en 2002, ancienne otage de la guérilla marxiste des Forces armées révolution­naires de Colombie (FARC)

L’élection d’Ebrahim Raïssi à la présidence iranienne est un scandale. La montée au pouvoir de celui que l’on appelle « le boucher » à cause de sa responsabi­lité pour des milliers d’exécutions extrajudic­iaires, de disparitio­ns forcées et de cas de tortures, laisse présager des jours sombres pour le peuple iranien. Après plus de quatre décennies d’une théocratie sanguinair­e, les souffrance­s des Iraniennes et des Iraniens convoquent nos démocratie­s à répondre de façon appropriée à l’affront d’avoir promu comme interlocut­eur du monde celui qui devrait être jugé pour crimes contre l’humanité. Il est nécessaire que son cas soit un exemple de lutte efficace contre l’impunité des puissants.

Cela fait plusieurs années que j’accompagne le combat de femmes iraniennes investies dans une résistance héroïque pour défendre la vie et les droits de leurs compatriot­es face à un régime profondéme­nt misogyne. L’impunité des dirigeants iraniens dont le comporteme­nt criminel est dénoncé à tous les niveaux et par tous les organismes de défense des droits de la personne, a dégénéré en une culture de violence contre les femmes, dans un pays qui détient la première place mondiale pour le nombre d’exécutions par habitant.

Le choix d’Ali Khamenei d’imposer son favori lors des récentes élections, caractéris­ées par leur manque de légitimité, vise précisémen­t à resserrer l’étau autour d’une société iranienne en ébullition. Le guide suprême entend durcir son régime, s’il est encore possible de faire pire. On se souvient des manifestat­ions de décembre 2017, de novembre 2019 et de janvier 2020, lorsque des protestati­ons de grande ampleur provoquées par la hausse du coût de la vie et par la corruption ont fait vaciller le régime. Rien qu’en novembre 2019, plus d’un millier et demi de jeunes ont été assassinés dans les rues et plus de 12 000 ont été arrêtés et torturés par les sbires de Raïssi, qui présidait alors le système judiciaire.

Les familles en Iran craignent pour leurs enfants, toujours détenus dans les prisons surpeuplée­s de la République islamique. Cette crainte est fondée, car les Iraniens se rappellent le génocide contre des milliers d’opposants incarcérés durant l’été 1988. Ebrahim Raïssi et trois autres juges avaient alors été chargés par le fondateur du régime, Khomeiny, d’exécuter sans procès tous les opposants politiques détenus dans les geôles iraniennes. C’était la « solution finale » version iranienne à l’encontre des sympathisa­nts du mouvement d’opposition des moudjahidi­nes du peuple. Quelque 30 000 prisonnier­s politiques ont été pendus par groupes de six à douze personnes, dans une frénésie meurtrière sans précédent en Iran.

Amnesty Internatio­nal a dénoncé ces faits comme « crime contre l’humanité » et, le 9 décembre 2020, sept rapporteur­s spéciaux des Nations unies demandaien­t une enquête internatio­nale « approfondi­e et indépendan­te » sur le génocide, et exigeaient que les familles soient informées de l’emplacemen­t des fosses communes. C’était la première fois en 32 ans que l’ONU faisait une démarche de cette ampleur contre un État membre. De son côté, Téhéran s’employait de son mieux à en effacer toutes les traces. Mais en juin dernier, le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme en Iran, Javaid Rehman, est allé plus loin : il a exigé qu’« une enquête indépendan­te sur le rôle joué par Ebrahim Raïssi en tant que procureur adjoint de Téhéran » soit menée.

L’actualité du dossier iranien ne doit pas se limiter à son programme nucléaire, car c’est précisémen­t à cela que le régime de Téhéran souhaite circonscri­re ses relations avec l’Occident. Or, tout est lié. C’est parce que c’est un régime sanguinair­e qui exporte le terrorisme partout dans le monde que la possession d’une bombe atomique devient une menace d’autant plus pressante pour chacun de nous.

L’Europe est appelée maintenant à écouter les revendicat­ions légitimes de la population iranienne, qui ne cesse de protester depuis quatre ans et qui demande un changement pacifique de régime politique. Cette transition démocratiq­ue doit être facilitée par l’UE. Un premier pas serait de traduire devant la justice internatio­nale les responsabl­es iraniens de crimes contre l’humanité, et en particulie­r d’ouvrir le dossier contre Ebrahim Raïssi.

La communauté internatio­nale serat-elle au rendez-vous pour accompagne­r le peuple iranien dans ce tournant décisif de son combat pour la liberté ? L’Iran peut compter d’ores et déjà sur l’amitié et la solidarité d’une opinion publique mobilisée pour faire pencher la balance.

 ?? VAHID SALEMI ASSOCIATED PRESS ?? Ebrahim Raïssi lors d’une conférence de presse le 21 juin dernier, à Téhéran. Le choix d’Ali Khamenei d’imposer son favori lors des récentes élections, caractéris­ées par leur manque de légitimité, vise précisémen­t à resserrer l’étau autour d’une société iranienne en ébullition.
VAHID SALEMI ASSOCIATED PRESS Ebrahim Raïssi lors d’une conférence de presse le 21 juin dernier, à Téhéran. Le choix d’Ali Khamenei d’imposer son favori lors des récentes élections, caractéris­ées par leur manque de légitimité, vise précisémen­t à resserrer l’étau autour d’une société iranienne en ébullition.

Newspapers in French

Newspapers from Canada