Le Devoir

L’avenir politique de la Tunisie projeté dans l’inconnu |

Le premier ministre se dit prêt à céder le pouvoir au successeur que désignera le président du pays, Kais Saied

- KAOUTHER LARBI À TUNIS AGENCE FRANCE-PRESSE

Le premier ministre tunisien, Hichem Mechichi, s’est dit prêt lundi à céder le pouvoir au futur premier ministre désigné par le président Kais Saied, au lendemain de la suspension par ce dernier des activités du Parlement, qui a projeté dans l’inconnu la jeune démocratie en crise depuis des mois.

« J’assurerai la passation de pouvoir à la personnali­té qui sera désignée par le président de la République », a déclaré M. Mechichi dans sa première déclaratio­n depuis les mesures de dimanche soir. Le parti au pouvoir, Ennahdha, qui soutenait M. Mechichi, les avait qualifiées de « coup d’État ».

Les développem­ents en Tunisie, pays souvent représenté comme le seul où a réussi le Printemps arabe, ont suscité l’inquiétude à l’étranger. La France a dit souhaiter un « retour dans les meilleurs délais à un fonctionne­ment normal des institutio­ns » et a appelé à éviter toute violence, tandis que les États-Unis, « préoccupés », ont appelé au « respect des principes démocratiq­ues ».

Dimanche soir, après une journée de manifestat­ions dans de nombreuses villes de Tunisie, notamment contre la gestion de l’épidémie de COVID-19 par le gouverneme­nt Mechichi, M. Saied a limogé ce dernier et a annoncé « le gel » des activités du Parlement pour 30 jours.

Le président, également chef de l’armée, s’est en outre octroyé le pouvoir exécutif, bouleversa­nt l’organisati­on du pouvoir dans un pays régi depuis 2014 par un système parlementa­ire mixte, en annonçant son intention de désigner un nouveau premier ministre. Il a limogé lundi le ministre de la Défense, Brahim Bartagi, et la porte-parole du gouverneme­nt, Hasna Ben Slimane, également ministre de la Fonction publique et ministre de la Justice par intérim.

Ennahdha, principal parti au Parlement, a fustigé « un coup d’État contre la révolution et la Constituti­on » ; son chef de file, Rached Ghannouchi, a campé 12 heures durant, lundi, devant un Parlement bouclé par l’armée pour en réclamer l’accès.

En revanche, l’Union générale des travailleu­rs tunisiens (UGTT), influente centrale syndicale, a estimé que les décisions de M. Saied étaient « conformes » à la Constituti­on, tout en appelant à la poursuite du processus démocratiq­ue, plus de 10 ans après le soulèvemen­t populaire qui a mené à la chute du dictateur Zine El-Abidine Ben Ali en janvier 2011.

Espoir de sortie de crise

Signe d’un début de concertati­ons, le président Saied a rencontré lundi soir les représenta­nts de l’UGTT, de la Ligue des droits de l’Homme et du patronat — des acteurs qui avaient tiré la Tunisie d’une précédente crise en 2013.

« La situation a atteint un stade inacceptab­le dans toutes les institutio­ns de l’État », a déclaré M. Saied à l’issue de cette réunion pour justifier ses décisions, évoquant « la corruption ». « Je rassure les Tunisiens que l’État est là, et il n’est pas question de porter atteinte aux droits et libertés », a-t-il assuré, réitérant que ces mesures d’exception respectent, selon lui, la Constituti­on.

Pour l’analyste Michaël Ayari, de l’Internatio­nal Crisis Group, « il y a un objectif de restaurer l’efficience de l’État, mais il faudra s’assurer d’impliquer un large nombre d’acteurs [...] on est dans l’inconnu, avec un risque de dérives, y compris sanglantes ».

Dans la journée, plusieurs centaines de partisans du président Saied et d’Ennahdha se sont échangé des jets de bouteilles et de pierres devant le Parlement à Tunis. Mais la situation est ensuite revenue à la normale.

Selon Ennahdha, le bureau de l’Assemblée, réuni en dehors du Parlement, a appelé l’armée et les forces de sécurité à « se placer du côté du peuple et à remplir leur rôle de protection de la Constituti­on ».

Craintes de recul démocratiq­ue

La crainte d’un retour en arrière sur les libertés a été accentuée après la fermeture lundi du bureau de la chaîne qatarie Al-Jazeera à Tunis par la police, sans décision de justice ni explicatio­ns. Amnesty Internatio­nal et Reporters sans frontières ont condamné l’acte et ont appelé les autorités tunisienne­s à garantir la liberté d’expression.

En fin de journée, la présidence a annoncé que le couvre-feu nocturne officielle­ment instauré pour lutter contre la COVID-19 avait été étendu de deux heures, désormais de 19 h à 6 h. Elle a aussi interdit des rassemblem­ents de plus de trois personnes.

Ce coup de théâtre fait suite à six mois de bras de fer entre MM. Ghannouchi et Saied, qui paraissait sans issue en l’absence de dialogue politique.

Ces bouleverse­ments marqués par de nombreux rassemblem­ents intervienn­ent alors que la Tunisie, déjà frappée par le chômage et l’inflation, fait face à un pic épidémique, avec l’un des pires taux de mortalité officiels au monde. Le pays de 12 millions d’habitants a enregistré officielle­ment plus de 560 000 cas de COVID-19, dont plus de 18 000 décès.

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 ?? HEDI AZOUZ ASSOCIATED PRESS ?? Lundi, plusieurs centaines de partisans du président Saied et d’Ennahdha se sont échangé des jets de bouteilles et de pierres devant le Parlement à Tunis. La situation est ensuite revenue à la normale.
HEDI AZOUZ ASSOCIATED PRESS Lundi, plusieurs centaines de partisans du président Saied et d’Ennahdha se sont échangé des jets de bouteilles et de pierres devant le Parlement à Tunis. La situation est ensuite revenue à la normale.

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