Des experts craignent une hausse des prix pour le réseau sans fil
Les enchères fédérales pourraient coûter beaucoup plus cher que prévu aux entreprises de télécommunications
Les enchères organisées par le gouvernement fédéral pour de nouvelles fréquences sans fil pourraient coûter plus cher que prévu aux entreprises de télécommunications. Si cela s’avère, elles risquent de transférer la facture à leurs clients, craignent les experts, ce qui aura un effet contraire à la volonté d’Ottawa de faire baisser les prix dans ce marché.
Ces fréquences situées dans le spectre des 3,5 gigahertz (GHz) sont jugées comme étant essentielles à la mise en place des réseaux de cinquième génération (5G) partout au pays.
On ne sait pas encore tout à fait quand se termineront les enchères, commencées à la mi-juin, pour ces fréquences. Ce qu’on soupçonne, toutefois, c’est que les entreprises qui ont misé pour acquérir des fréquences disponibles un peu partout au pays pourraient dépenser plus du double que ce que les analystes avaient prévu au moment du lancement du processus d’enchères.
Des sources anonymes ont confié il y a quelques jours au Globe and Mail que la somme totale misée par les fournisseurs actuels (Bell, Rogers, Québecor et Telus) et par quelques nouveaux entrants — ce qui comprendrait la montréalaise Cogeco — serait supérieure à 8 milliards de dollars. Les analystes tablaient sur un montant oscillant entre 3 et 4 milliards.
La rumeur de cette surenchère a rapidement fait chuter le titre boursier de certaines de ces sociétés. Des analystes se sont dits surpris du montant avancé, mais, en même temps, pas tant que ça. « Il est extrêmement difficile de prédire le déroulement d’enchères comme celles-là », reconnaît l’analyste de Valeurs mobilières Desjardins Jérome Dubreuil.
Le potentiel particulier de ce spectre de fréquences pour les réseaux sans fil de prochaine génération et le nombre somme toute restreint de sociétés prêtes à miser sur ces fréquences complique la comparaison avec les enchères tenues au Canada précédemment, ou même avec d’autres enchères survenues plus récemment ailleurs dans le monde.
Cela dit, s’ils paient un prix plus élevé que prévu pour de nouvelles fréquences, les fournisseurs pourraient décider de vendre à un prix également plus élevé à leurs clients les services qui en découleront. « Il y a un lien à faire, dit Jérome Dubreuil. S’ils doivent verser davantage que prévu au gouvernement pour les fréquences, l’une des variables sur lesquelles ils peuvent jouer pour atteindre leurs cibles de profitabilité est le prix auquel ils vendent leurs services aux consommateurs. »
Une concurrence limitée
Le gouvernement fédéral est officiellement favorable au fait d’accroître la concurrence dans le secteur des télécommunications. Selon lui, c’est le meilleur moyen de réduire le coût pour les consommateurs canadiens des services de téléphonie et d’Internet. Or, ces derniers mois, au moins deux mesures prises par des organismes fédéraux ont limité les chances de voir de nouveaux entrants s’ajouter aux joueurs actuels du marché du sans-fil.
À la fin mai, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada (CRTC) a annulé une importante baisse des tarifs de gros annoncée en 2019 du côté de l’Internet résidentiel. Le mois précédent, le CRTC a publié une définition des exploitants de réseaux mobiles virtuels (ERMV, ou « MVNO » en anglais) qui imposait à ces exploitants d’être propriétaires de certaines fréquences ou de leur propre infrastructure, quelque part au pays, pour pouvoir être autorisés à opérer à plus grande échelle.
En principe, des exploitants virtuels sont censés offrir des services sans fil sous leur propre marque en empruntant l’infrastructure déjà existante d’autres fournisseurs. Leurs coûts étant moins élevés, ils sont en principe capables de proposer des services sans fil à moindre coût.
Ces deux décisions ont fait reculer certains fournisseurs régionaux de services Internet jusque-là désireux de se lancer dans le sans-fil. La société ontarienne TekSavvy a notamment dû retirer à la dernière minute sa candidature pour participer aux présentes enchères.
En revanche, cette définition pourrait avoir été adoptée par le CRTC pour favoriser l’émergence à l’échelle nationale d’exploitants régionaux comme Québecor. On pourrait aussi assister à l’entrée en scène d’un très petit nombre de nouveaux joueurs qui ont déjà la capacité financière pour investir dans l’infrastructure, comme Cogeco, ajoute Jérome Dubreuil.
« Cette définition des exploitants virtuels qu’a adoptée le CRTC est un grand incitatif pour Cogeco, dit-il. Je serais surpris qu’il n’ait pas misé [pour acquérir des fréquences], même si cela ne garantit pas qu’il y aura un nouveau réseau en place bientôt. »
Le coût payé pour acquérir des fréquences pourrait influer sur les plans de Cogeco. Et comme ce coût pourrait être élevé, à la suite d’enchères supposément coûteuses, un nouveau concurrent pourrait ne pas émerger de sitôt, contrairement à la volonté affirmée du gouvernement d’accélérer l’arrivée de nouveaux joueurs.