Le Devoir

Mission accomplie pour la planchiste canadienne Annie Guglia

Les portes des Jeux sont ouvertes, et l’avenir s’annonce prometteur

- ÉRIC DESROSIERS

Annie Guglia ressentait un profond sentiment d’accompliss­ement lundi aux Jeux de Tokyo. Non, elle n’a pas obtenu de résultats éclatants lors de la compétitio­n de planche à roulettes sur rue. C’est plutôt tout le reste qui la rendait heureuse.

À commencer par le fait qu’après vingt ans comme pionnière de son sport, ce dernier fait enfin son entrée aux Jeux olympiques, que les femmes y aient leur place et qu’elle ait pu prendre part à cette grande première.

Ça l’a frappée subitement. Debout en plein milieu de la nuit, elle traversait à pied le village olympique lorsqu’elle est tombée sur les cinq anneaux illuminés. « C’était la première fois que je me retrouvais seule depuis que tout cela avait commencé, il y a quelques jours, disait-elle lundi après sa compétitio­n. C’est comme si j’avais réalisé tout d’un coup ce qui m’arrivait. J’ai éclaté de rire. Puis, je me suis mise à pleurer. »

Un coup de pouce du destin

L’histoire commence à être connue, mais mérite d’être rappelée. Après des années passées à rêver des Jeux olympiques, Annie Guglia n’avait pas réussi à se qualifier pour Tokyo en juin dernier. « Ç’a été l’une des plus grandes déceptions de ma vie. C’était un échec. Il a fallu qu’ils m’enlèvent des publicités de Radio-Canada. C’était une grosse déception. Et quand tu vis ça publiqueme­nt, que tout le monde t’en parle tous les jours, c’est encore plus dur. Mais quand ça marche, tu le vis publiqueme­nt aussi, et plein de gens ont envie de partager ton bonheur. »

Mais cet échec n’aura finalement pas signé la fin de son aventure olympique.

Vendredi, l’une des athlètes qualifiées pour la compétitio­n est déclarée positive à la COVID-19. On demande donc à Guglia de sauter de toute urgence dans un avion pour Tokyo pour y jouer le rôle de la deuxième réserviste, au cas où. Puis une autre concurrent­e se blesse, et la première remplaçant­e prévue ne peut pas faire le voyage jusqu’au Japon. Les portes de Tokyo s’ouvrent donc pour elle in extremis. « Je suis passée, en 36 heures, de fille qui allait rester chez elle à Montréal à réserviste qui allait probableme­nt rester dans sa chambre au village olympique, puis à concurrent­e officielle. »

Les conditions étaient loin d’être idéales, admet Annie Guglia. Sous un soleil de plomb, dans un stade manquant cruellemen­t de spectateur­s et d’ambiance, elle a réussi le minimum requis de quatre figures, mais cela n’a pas été suffisant pour passer au second tour. « J’ai dormi un total de douze heures en quatre jours, dont cinq heures la nuit dernière, a-t-elle expliqué. J’ai donné le maximum dont j’étais capable dans les circonstan­ces, mais je n’ai pas cherché à forcer les choses, je ne voulais pas courir le risque de me blesser. Mon objectif était de m’amuser et de montrer qu’on a du plaisir en skate, même si l’on ne réussit pas toujours ce

Je suis passée, en 36 heures, de fille qui allait rester chez elle à Montréal à réserviste qui allait probableme­nt rester dans sa chambre au village olympique, puis à concurrent­e officielle

ANNIE GUGLIA

qu’on essaie. Aussi, je dirais que c’est mission accomplie. »

Nouvelle génération, nouvel espoir

À côté d’elle, il y avait des planchiste­s d’à peine 13 ans. « J’ai fait ma première compétitio­n à cet âge-là et je l’ai gagnée parce que j’étais la seule fille en lice », se souvient l’athlète aujourd’hui âgée de 30 ans. « Il a fallu que j’attende deux ans avant de rencontrer une première adversaire. On a tellement fait de chemin depuis, c’est fou ! »

Défenseuse de la première heure de la place des femmes dans son sport — et de la cause LGBT —, Annie Guglia a totalement confiance en la génération montante. « Il faut du temps pour développer un planchiste. Les filles qui commencent aujourd’hui ont des modèles et savent qu’elles peuvent même se rendre jusqu’aux Jeux olympiques. Actuelleme­nt, l’écart de performanc­e avec les hommes est encore assez important, mais ça ne durera pas longtemps. Aux prochains Jeux, le niveau va être très élevé, ce sera vraiment excitant à voir. »

Elle ne sait pas encore si elle sera de l’aventure des Jeux de Paris en 2024. « Ce qu’il y a de certain, c’est que le skateboard va rester au coeur de ma vie. Ma carrière profession­nelle, les causes que je défends, mes amis, mes voyages : tout lui est lié. J’ai même fait une maîtrise sur le sujet ! Alors je ne suis pas inquiète. Je vais continuer dans ce sport qui me passionne. »

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalism­e internatio­nal Transat-Le Devoir.

Newspapers in French

Newspapers from Canada