Le Devoir

Fin de parcours pour le créateur de Bob Morane

Grand marathonie­n de la plume, le prolifique Henri Vernes s’est éteint à l’âge de 102 ans

- 1918-2021 AGENCE FRANCE-PRESSE À BRUXELLES

L’écrivain belge Henri Vernes, créateur de l’aventurier Bob Morane, énorme succès de littératur­e pour la jeunesse et de BD, est décédé dimanche à l’âge de 102 ans, a annoncé lundi sa maison d’édition, Le Lombard. Près de 40 millions d’exemplaire­s de livres de Bob Morane ont été vendus dans le monde. Sa série de plus de 200 romans a également été adaptée en bande dessinée.

Doté d’une imaginatio­n fertile, Henri Vernes a gardé, sa vie durant, la passion de l’écriture et des plaisirs de la vie, avec une malice et une énergie faisant oublier son grand âge. « J’aimerais encore écrire une centaine de livres, courtiser quelques dames et, pour le reste, je laisse tout au sort », avait-il déclaré à la chaîne de radio-télévision francophon­e RTBF à l’occasion de ses 100 ans.

Deux ans plus tard, Henri Vernes s’éteignait « d’un affaibliss­ement généralisé », a indiqué à l’AFP, Jacky Legge, conservate­ur du Musée de folklore de Tournai, qui a consacré à l’auteur un espace permanent d’exposition après son centenaire fin 2018. « C’est quelqu’un qui avait gardé une mémoire incroyable. C’est ce qui me surprenait chaque fois que je le voyais. Il gardait une mémoire vraiment phénoménal­e des faits, des personnes et des lieux où il les avait rencontrée­s. Il avait une faculté d’encore nous raconter, de nous passionner de ce qu’il avait vécu », a confié ce proche.

Né Charles-Henri Dewisme, à Ath, près de Tournai (ouest de la Belgique), le 16 octobre 1918, Henri Vernes préfère voyager, notamment en Chine, plutôt qu’étudier chez les jésuites à Tournai. De retour en Europe, il travaille pour les services secrets belges et anglais pendant la guerre, est journalist­e à Paris, correspond­ant d’un quotidien lillois et d’une agence de presse américaine. « J’ai fréquenté Saint-Germain-des-Prés et j’ai fait danser Juliette Gréco, ça n’est pas allé plus loin », disait-il en plaisantan­t.

Journalist­e à Paris, il voit son heure de gloire arriver en 1953 lorsque la maison d’édition Marabout se lance dans le roman-feuilleton pour jeunes et fait appel à lui. Bob Morane est né : français, 33 ans, costaud, polyglotte et justicier sans peur contre les pirates, les monstres de l’espace, la troublante Miss Ylang-Ylang ou son ennemi juré, l’Ombre jaune.

Il n’y avait pas de sexe — thème tabou, en littératur­e jeunesse — dans ces livres assez bien écrits, où il n’était pas rare de tomber, de-ci, de-là, sur un imparfait du subjonctif. Largement traduites (dont en russe et en japonais), les aventures de Morane et de son copain, un rouquin costaud amateur de whisky, le bien nommé Bill Ballantine, ne connaîtron­t jamais les honneurs du grand écran, contrairem­ent à James Bond, autre héros de l’après-guerre.

En revanche, la bande dessinée, en son royaume belge, s’est emparée très tôt d’un héros né sur ses terres : dès 1959, Bob Morane est adapté avec

L’oiseau de feu, dessiné par Dino Attanasio. Une déclinaiso­n qui sera suivie de 72 autres sous le crayon de Gérald Forton, de William Vance — le dessinateu­r de XIII — et de Coria.

À partir des années 1960, les romans sont adaptés en BD par l’auteur luimême avec des dessins du Belge Gérald Forton. Bob Morane avait aussi eu les honneurs du groupe de rock français Indochine, en 1982 dans le tube

L’aventurier.

Après la faillite de Marabout, en 1978, la série se poursuit ailleurs, mais les ventes baissent. Pourtant, l’auteur persévère. En 2009 paraissait le dernier tome, numéro 223, intitulé Alerte aux V1.

Henri Vernes a également créé dans les années 1980 une série coquine,

Don, où les aventures du héros se terminent toujours au lit. Ce grand lecteur de romans noirs américains écrivit nombre de fictions sous différents pseudonyme­s (Gaston Bogard, Jacques Colombo, Lew Shannon, etc.). En 2012, il avait signé ses Mémoires.

Ce marathonie­n de la plume vivait dans la commune bruxellois­e de SaintGille­s, entouré de masques, de statuettes ou de tableaux ramenés de ses voyages. « Cela peut paraître étrange, mais je n’ai jamais rêvé de Bob Morane. J’écrivais, je livrais mes textes et je les oubliais aussitôt. Mais, grâce à lui, j’ai eu les moyens de bien vivre », disait-il en 2012.

Il avait une faculté d’encore nous raconter, de nous passionner »

de ce qu’il avait vécu JACKY LEGGE

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