Libérer la culotte olympique
Il s’en trouve toujours pour critiquer la tenue des femmes et faire passer des considérations triviales avant leur confort et leur bien-être
Conceptrice-rédactrice et citoyenne engagée, l’autrice est présidente du conseil d’établissement d’une école primaire. Elle a aussi enseigné la littérature au collégial et collabore à la revue Lettres québécoises.
L’équipe féminine norvégienne de handball de plage a récemment été mise à l’amende lors de l’Euro 2021. Plutôt que le bikini (avare en tissu) requis, ses membres avaient décidé de porter les mêmes confortables shorts en lycra que les hommes : un accroc que n’a pas toléré la Fédération européenne de handball, qui s’obstine à perpétuer des règles sexistes qui ne sont que la pointe de l’iceberg des discriminations dans le sport.
Par nécessité, de plus en plus de femmes s’attellent à ramener les injustices à la surface dans l’espoir de les faire fondre. Dans le cas des Norvégiennes, enfiler pareil uniforme se voulait un acte de résistance à la directive absurde stipulant qu’elles doivent porter « des bas de bikini ajustés et échancrés », dont « les côtés doivent être larges d’au maximum 10 centimètres ». En gymnastique olympique, l’équipe féminine allemande s’est quant à elle présentée vêtue d’un unitard, un maillot d’une pièce qui les couvre jusqu’aux chevilles, comme celui des hommes, afin de dénoncer la sexualisation des femmes gymnastes : c’était la première fois qu’une équipe se présentait ainsi pour un motif autre que religieux.
Avant elles, en 2011, les joueuses de badminton avaient fait front commun pour s’opposer au projet de la Fédération internationale d’imposer le port de la jupette afin de « toucher un public plus large […] pour qui la présentation esthétique et stylée des joueurs [sic] est un critère important ». Comme si les échanges impressionnants ne suffisaient pas et qu’il fallait que les tissus virevoltent au ras des fesses pour attiser l’intérêt du sport ! Puis, en 2018 à Roland-Garros, alors que Serena Williams portait une combinaison noire ceinturée de rouge pour empêcher les caillots à la suite de son accouchement, le président de la Fédération française de tennis, Bernard Giudicelli, avait déclaré : « Je crois qu’on est parfois allé trop loin. La combinaison de Serena cette année, par exemple, ça ne sera plus accepté. Il faut respecter le jeu et l’endroit. »
Bref, il s’en trouve toujours pour critiquer l’accoutrement des femmes : sous prétexte de la tradition, du décorum, de l’esthétisme, de la féminité ou de l’intérêt des diffuseurs, on les juge trop couvertes ou pas assez, on fait passer des considérations triviales avant leur confort, on impose des règles qui font fi des préférences personnelles, des différents types de corps, du bien-être propre à chacune. Et pendant qu’elles se tiennent debout pour dénoncer, les femmes se voient détournées de ce qui devrait les occuper : leur entraînement, leur performance, leur sport.
Debout, ensemble
Les fédérations et les comités sportifs internationaux sont encore très majoritairement pilotés par des hommes. À la Fédération internationale de handball (IHF), on compte ainsi 2 femmes sur 5 membres au comité exécutif… mais encore 2 femmes (les mêmes) sur 17 au comité élargi ; au Comité international olympique (CIO), on dénombre 34 femmes sur 102 membres actifs (et 5 sur 15 à la commission exécutive) ; au Comité d’organisation des Jeux olympiques (COJO) de Tokyo, ce sont 7 femmes sur 36. Grosso modo, les femmes occupent rarement plus du tiers des chaises autour de la table.
« Les femmes ont l’esprit de compétition. Si l’une lève la main, les autres croient qu’elles doivent s’exprimer aussi. C’est pour ça que tout le monde finit par parler », a dit le précédent président du COJO, Yoshiro Mori, qui a dû quitter son poste après cette déclaration sexiste. Et si ce n’était pas parce qu’elles sont en compétition que les femmes parlaient (pour peu, on dirait qu’elles rient trop !), mais bien parce qu’elles sont solidaires ? Minoritaires au sein d’instances majoritairement masculines, celles-ci ont possiblement mis en place une stratégie commune de solidarité baptisée « l’amplification », comme les femmes sous Obama l’avaient fait à l’époque. L’une propose, les autres lui font écho, portent sa voix plus loin. Ainsi, on ne peut nier avoir entendu cette voix, ni se réapproprier cette idée l’air de rien.
Le départ de Mori n’allait pas empêcher certaines sportives, dont la boxeuse Mandy Bujold et la joueuse de basketball Kim Gaucher, de devoir lutter bec et ongles pour que leur toute récente maternité n’entrave pas leur participation aux Jeux de Tokyo. Aidée de ses avocats, Bujold s’est battue pour que les critères de qualification prévoient des exceptions pour les femmes enceintes ou en période de post-partum lors de la période de qualification ; Gaucher, elle, pour que sa fille de trois mois qu’elle allaite puisse être à ses côtés. Des luttes qu’elles ont menées pour elles-mêmes, mais aussi pour créer des précédents qui devront être suivis, pandémie ou non. Pour que le fait d’être une femme, une mère et une athlète de haut niveau ne s’accompagne plus de criantes iniquités.
Simone Biles vs. Logan Mailloux
Ces derniers jours, presque au même moment, Simone Biles craquait au saut alors que le Canadien de Montréal recrutait Logan Mailloux, qui a commis un crime sexuel il y a à peine huit mois. Biles était la seule survivante connue du médecin agresseur en série Larry Nassar à compétitionner à Tokyo. Dans un récent article du New York Times, elle avait confié participer aux présents Jeux pour « représenter les États-Unis, représenter le World Champions Centre et représenter les jeunes filles noires de la planète », avant de souligner à gros traits qu’elle n’y participait surtout « pas pour représenter USA Gymnastics », qui avait fait preuve d’aveuglement volontaire, comme, jadis, Canada Alpin devant Bertrand Charest, la Fédération française des sports de glace devant Gilles Beyer et tant d’autres encore.
Sous l’iceberg se cachent ainsi des dizaines d’institutions et d’organisations qui, d’un côté, ferment les yeux sur les gestes des agresseurs ou les minimisent et, de l’autre, soutiennent peu les femmes, les mères ou les victimes, qui doivent se battre pour pratiquer leur sport ou, tout simplement, pour survivre. Or, le public se lève de plus en plus avec elles, les commanditaires posent des questions, les critiques affluent. Le vent tourne : reste aux différentes instances sportives à le suivre en procédant à un important examen de conscience — et vite.
*Le titre de ce texte est inspiré de l’ouvrage collectif Libérer la culotte, paru aux Éditions du remue-ménage et codirigé par Geneviève Morand et Natalie-Ann Roy.