Uber en pénurie de chauffeurs au Québec
Avec la reprise de l’économie, la multinationale doit faire des pieds et des mains pour recruter
Après une chute de 80 % de ses activités en début de pandémie, la division québécoise d’Uber reprend du poil de la bête et fait maintenant face à une pénurie de chauffeurs qui tire vers le haut les revenus de ces derniers — et le prix de certaines courses —, a constaté Le Devoir à partir des données fournies par l’entreprise.
« Le nombre de courses a doublé » depuis mai, indique Jonathan Hamel, gestionnaire des affaires publiques de la multinationale californienne au Québec. La quantité de trajets effectués a augmenté dans les faits de près de 150 % depuis le début de l’année.
Si la multinationale californienne accepte de faire connaître au Devoir le taux de croissance de ses activités, elle refuse toutefois de dévoiler le nombre précis de chauffeurs qu’elle emploie — « il y en a plusieurs milliers » — et le nombre de trajets effectués pour des « raisons de compétitivité », dit M. Hamel.
N’empêche, le déconfinement et la reprise des activités qui l’accompagne créent une hausse de la demande pour ses services. Pour le consommateur, la tarification dynamique de l’entreprise californienne a ainsi fait grimper les prix de certaines courses. Dans les prochaines semaines, avec le retour progressif de travailleurs au centreville de Montréal et l’ouverture de la frontière canado-américaine, la croissance de la demande risque d’ailleurs de s’accélérer, estime M. Hamel. « Aussi, il y a plusieurs festivals qui ont repoussé leur programmation de l’été à l’automne. »
« C’est certain que, quand la demande de courses est élevée, certains [utilisateurs] paient leurs courses un peu plus cher qu’avant », explique M. Hamel sans détailler cette situation.
Revenus des chauffeurs en hausse
En contrepartie, les revenus des chauffeurs québécois augmentent. Sur ce plan, l’entreprise est d’ailleurs beaucoup plus loquace. « Le revenu médian s’établit maintenant à 28 $ l’heure », affirme le gestionnaire d’Uber Canada.
On pourrait créer une troisième option, hybride, qui permettrait de préserver la liberté et la flexibilité des travailleurs autonomes tout en leur conférant certains avantages sociaux
JONATHAN HAMEL »
La dernière fois qu’on avait eu vent des revenus des chauffeurs québécois d’Uber, c’était en 2019, lors de l’étude du projet de loi devant encadrer l’entreprise californienne : ils gravitaient alors autour de 19 $ l’heure.
Les données communiquées au Devoir font état d’une augmentation du revenu médian des chauffeurs, mais les frais afférents que ceux-ci doivent payer ne font pas partie du calcul d’Uber.
Une commission de 25 % est automatiquement reversée à l’entreprise : du coup, pour chaque tranche de 28 $, 7 $ reviennent dans les poches de l’entreprise. À cela s’ajoutent d’autres dépenses plus difficiles à estimer, comme l’essence et l’entretien du véhicule.
Manque de personnel
L’entreprise ne s’en cache pas : elle doit recruter. Pour inciter de nouveaux chauffeurs à s’inscrire sur sa plateforme, Uber lancera d’ailleurs sous peu une prime à l’inscription pouvant atteindre 1000 $, à certaines conditions. « Évidemment, je ne peux pas dire combien de temps [les revenus vont] rester à ce niveau, c’est pour cela que je parle de fenêtre d’opportunité pour les chauffeurs », dit Jonathan Hamel.
Pas question toutefois pour Uber de mettre en place un salaire minimum, comme c’est le cas à Seattle et à New York. Aux fins de recrutement, Uber Canada planche plutôt sur un modèle qui permettrait d’offrir aux chauffeurs des « avantages sociaux flexibles » établis en fonction de la réalité de chacun.
Jonathan Hamel explique qu’un chauffeur qui a une couverture pour les soins dentaires avec un autre employeur pourrait, par exemple, avoir accès à une somme accumulée par Uber pour les soins de la vue.
Au Canada, environ 55 % des chauffeurs d’Uber déclarent avoir d’autres revenus et 35 % déclarent avoir un emploi à temps plein à l’extérieur de leurs activités de chauffeur.
« Actuellement, lorsqu’on regarde le marché du travail, il y a les employés qui ont des avantages et les travailleurs autonomes qui n’en ont pas. Ce qu’on dit, c’est qu’on pourrait créer une troisième option, hybride, qui permettrait de préserver la liberté et la flexibilité des travailleurs autonomes tout en leur conférant certains avantages sociaux », dit-il, précisant que cela demanderait des modifications législatives.
Présente dans neuf provinces, l’entreprise dit être en contact avec « des gouvernements provinciaux » à cet effet. Et au Québec ? Le gouvernement est « au courant de notre proposition », mais aucune négociation concrète ne se déroule à l’heure actuelle, répond M. Hamel.
En Californie, après une âpre bataille juridique avec l’État, une formule hybride de couverture proposée par Uber et Lyft a été adoptée en novembre 2020. La « proposition 22 » prévoit que des milliers de chauffeurs resteront « indépendants », mais recevront en contrepartie certaines compensations. Établies en fonction du nombre d’heures travaillées, elles vont de l’aide financière pour une assurance maladie à une certaine forme de salaire minimum.
Jonathan Hamel fait état des nombreuses transformations de l’entreprise au Canada au cours de la dernière année. Uber a notamment rapatrié le siège social d’Uber Canada, qui était jusqu’alors aux Pays-Bas.
Un changement notable dans la structure de l’entreprise à la suite d’une action collective déposée contre elle en 2017.
En vigueur depuis 1er juillet, ce transfert contraint l’entreprise à percevoir les taxes de vente dans l’ensemble du pays et de permettre aux restaurants, aux chauffeurs et aux coursiers de réclamer des crédits d’impôt.