Les effroyables territoires de l’horreur folklorique
Le documentaire Woodlands Dark and Days Bewitched : a History of Folk Horror offre un portrait exhaustif d’un genre qui connaît un regain de popularité
« L’horreur folklorique, c’est la juxtaposition du prosaïque et de l’insolite », explique une voix par-dessus des extraits de films évocateurs. « Il s’agit de ces choses étranges trouvées dans les champs, de ces lueurs qui clignotent dans des bois sombres », enchaîne une seconde voix. « C’est la part de ténèbres dans les jeux des enfants, c’est se perdre dans des paysages anciens […] », d’ajouter une troisième.
Or, découvre-t-on dans le documentaire Woodlands Dark and Days Bewitched : A History of Folk Horror, présenté à Fantasia, ce n’est là qu’un aperçu de ce qu’est « l’horreur folklorique » au cinéma.
« Mon premier contact avec le genre a été le film The Wicker Man [Robin Hardy, 1973] », confie Kier-La Janisse, réalisatrice du documentaire, mais également programmatrice dans plusieurs festivals et autrice de l’ouvrage House of Psychotic Women : An Autobiographical Topography of Female Neurosis in Horror and Exploitation Films.
Dans The Wicker Man, film autrefois culte mais considéré désormais comme un classique du cinéma britannique, un policier très croyant est envoyé sur une île afin d’investiguer une disparition. Sur place, il est tourmenté par un mystérieux culte.
Comme l’exemplifie le documentaire, le concept de l’étranger « urbain » qui débarque dans un lieu rural, insulaire, sylvestre ou reculé, et qui y découvre une sinistre conspiration, est récurrent dans l’horreur folklorique. Vous avez dit Midsommar (Midsommar : solstice d’été, Ari Aster ; 2019) ?
Un sous-genre du cinéma d’épouvante, l’horreur folklorique est souvent résumée à trois films emblématiques, ou la « Trinité impie », que sont Witchfinder General (Le grand inquisiteur, Michael Reeves, 1968), sur les méfaits d’un inquisiteur sanguinaire, The Blood on Satan’s Claw (La nuit des maléfices, Piers Haggard, 1971), sur un village en proie au Malin par l’entremise d’une gourou adolescente, et le déjà mentionné, The Wicker Man.
« J’ai toujours été captivée par ces récits de petites villes étranges où sont maintenues de vieilles coutumes. La façon dont les systèmes de croyances évoluent dans un contexte d’isolement est un autre aspect qui me fascine. Qu’il s’agisse de croyances séculaires qui n’ont pas changé faute de réels contacts avec l’extérieur, ou au contraire, qu’on ait affaire à un groupe qui s’est marginalisé afin de développer un système de croyance à lui, loin du système dominant : ces deux modèles m’intéressent. »
Cela, avec à la clé cette question : jusqu’où peut aller une croyance ? Dans l’horreur folklorique, la réponse n’est jamais réjouissante, mais elle a l’heur de divertir quiconque aime frissonner d’effroi. Quoique tout n’est pas noir ou blanc, nuance Kier-La Janisse. « Le côté positif de cette existence en retrait, c’est par exemple la communauté Amish, qui vit paisiblement et ne fait de mal à personne. Le côté négatif, c’est Jonestown, c’est la famille Manson, etc. »
Un vaste panorama
Sur fond de superstitions, de rites païens ou de chrétienté pervertie, l’épouvante sourd d’un environnement inquiétant, voire de la terre elle-même. Logique, dès lors, que la teneur de l’horreur folklorique varie selon le territoire visité.
Ainsi, le documentaire de Kier-La Janisse ne se limite pas, comme c’est souvent le cas dans les essais consacrés au genre, à l’Angleterre.
« Dans le cadre de mes recherches, dès que je suis “sortie” de l’Angleterre, je me suis rendue à l’évidence que, la culture et les enjeux politiques étant différents ailleurs, il en résultait des variations qui méritaient tout autant d’attention, et donc de temps. »
D’où la durée de son film, à savoir trois passionnantes heures. Pour l’anecdote : le projet ne devait à l’origine qu’être un court supplément pour le Blu-ray de la version restaurée du film The Blood on Satan’s Claw, paru en 2019 chez Severin Films. Devant l’évidence d’un sujet beaucoup plus touffu qu’escompté, le feu vert fut donné pour un documentaire autonome.
Après la tradition anglaise, Woodlands Dark and Days Bewitched se tourne ainsi vers les contrées notamment australiennes, japonaises, russes et, bien sûr, états-uniennes.
« Aux États-Unis, le genre a une connotation très politique à cause du clivage marqué entre les zones urbaines et rurales : deux pôles semblant incapables de comprendre leur système de valeurs respectif. »
L’horreur folklorique y prend volontiers la forme de gens de la ville qui font face à la terreur, voire à la mort, lors d’un séjour mal avisé en forêt, ou simplement après avoir eu le malheur d’emprunter une route secondaire : les exemples sont légion, de Deliverance (Déliverance, John Boorman ; 1972) à Children of the Corn (Les enfants de l’horreur, Fritz Kiersch ; 1984). Le volet états-unien est en outre l’occasion d’une remise des pendules à l’heure sur le vaudou et le hoodoo par la professeure Maisha Wester, qui déconstruit les clichés hollywoodiens.
Autre figure récurrente de l’horreur folklorique, tous pays confondus cette fois : la sorcière. « De très nombreux films ont recours à la sorcière en explorant ses ramifications symboliques, la question de la politique des sexes, etc., et il y a là matière à un documentaire en soi. Et justement, de tels documentaires existent, d’où le fait qu’on s’en tient à un chapitre. Cette division par chapitres développant chacun certains grands thèmes, s’est par ailleurs révélée le meilleur moyen pour maintenir une bonne cohésion d’ensemble, considérant l’abondance de la matière couverte », note Kier-La Janisse.
Les superstitions
Aux États-Unis, le genre a une connotation très politique à cause du clivage marqué entre les zones urbaines et rurales : deux pôles semblant incapables de comprendre leur système de valeurs respectif KIER-LA JANISSE »
En vogue tout au long des années 1970 tant au cinéma qu’à la télévision, comme le rappellent maints extraits de films et de téléfilms, l’horreur folklorique jouit en ce moment d’un regain de popularité. On pense à des films comme The VVitch (La sorcière, Robert Eggers ; 2015), The Ritual (Le rituel, David Bruckner ; 2017), Apostle (Le bon apôtre, Gareth Evans ; 2018), The Wretched (Les frères Pierce, 2019) et, bien sûr,
Midsommar.
Dans le documentaire, l’actrice et réalisatrice Alice Lowe (Prevenge) y va à cet égard d’une intéressante hypothèse. Relevant que les récits d’horreur folklorique font souvent écho à des époques où l’information circulait très lentement et avait par conséquent ample occasion d’être déformée, il était difficile d’avoir des repères fiables. Aussi, les superstitions ne pouvaientelles que fleurir.
Or, poursuit-elle : « Aujourd’hui, l’information circule au contraire tellement vite, et on en est tellement bombardé, qu’on ne sait plus toujours si elle est fiable, de telle sorte qu’on est revenu au même point : on peine à avoir des repères parce qu’on ne sait plus nécessairement que croire. »
Une chose est sûre, et si foisonnante soit-elle, l’information contenue dans
Woodlands Dark and Days Bewitched : A History of Folk Horror est fouillée, précise et éclairante. Porté par une musique envoûtante de Jim Williams et par des passages animés signés Guy Maddin, ce film est du bonbon pour qui aime non seulement le cinéma d’horreur, mais les considérations sociologiques et l’histoire du cinéma en général.