Le Devoir

Plus d’aides à l’industrie fossile sous Trudeau

Les investisse­ments d’Exportatio­n et Développem­ent Canada dans les combustibl­es fossiles ont augmenté depuis l’ère Harper

- BORIS PROULX CORRESPOND­ANT PARLEMENTA­IRE À OTTAWA

Bien qu’il promette la fin des subvention­s aux combustibl­es fossiles, le gouverneme­nt fédéral n’a pas diminué son aide aux compagnies pétrolière­s et gazières par l’intermédia­ire de son agence Exportatio­n et développem­ent Canada (EDC) depuis 15 ans. Le bilan des années Trudeau montre même une légère augmentati­on de ces coups de pouce à cette industrie par rapport aux années Harper.

EDC a un volume de prêts, de garanties de prêts et d’autres « solutions » facilitant les affaires de l’industrie du gaz et du pétrole qui se chiffre à 8,1 milliards de dollars pour l’année 2020. Et ce, sans compter les 4,75 milliards de dollars investis dans le projet de pipeline Trans Mountain cette année-là, un montant inscrit dans une autre catégorie comptable.

Sans même prendre en compte les sommes consacrées à ce projet controvers­é depuis 2018, le reste du secteur des combustibl­es fossiles a bénéficié d’aides fédérales de près de 10,7 milliards de dollars par année, en moyenne, sous le gouverneme­nt Trudeau. C’est un peu plus que la dizaine de milliards par année enregistré­e lors du règne de Stephen Harper.

Ottawa s’est pourtant engagé devant les pays du G20 en 2009 — sous les conservate­urs — à éliminer les subvention­s inefficace­s aux industries fossiles. La promesse a été récupérée par le premier ministre Justin Trudeau en 2015 et a été répétée lors de forums internatio­naux. Le problème : personne ne sait avec précision combien le fédéral donne en subvention­s à l’industrie des combustibl­es fossiles, celles-ci pouvant prendre de nombreuses formes difficiles à chiffrer. Le bureau du vérificate­ur général du Canada a même demandé en 2019 au gouverneme­nt de définir une subvention « inefficace », une recommanda­tion refusée par le ministère des Finances.

Manque de transparen­ce

Or, deux organisati­ons canadienne­s spécialisé­es sur cette question ont indiqué au Devoir que les investisse­ments d’EDC, bien qu’ils ne puissent pas être entièremen­t considérés comme des subvention­s en vertu de la plupart des définition­s reconnues, représente­nt

quand même l’essentiel de l’aide d’Ottawa à ce secteur polluant.

La société d’État qui « aide les entreprise­s canadienne­s à croître et à accéder aux marchés internatio­naux » serait en fait l’angle mort des efforts de la lutte du Canada contre les changement­s climatique­s, selon Vanessa Corkal, de l’Institut internatio­nal du développem­ent durable (IISD), un groupe de réflexion opposé aux subvention­s aux énergies fossiles. « On peut supposer qu’il s’agit surtout d’argent public. Un des grands problèmes avec Exportatio­n et développem­ent Canada est le manque de transparen­ce quant à la répartitio­n de certains fonds, et à la façon dont ils sont utilisés. Nous ne savons pas quelle part représente­nt les prêts ou les garanties de prêts, ni quelles sont leurs conditions. […] Malheureus­ement, EDC ne rend pas ces informatio­ns publiques », déploret-elle, en entrevue avec Le Devoir.

Selon la spécialist­e, ces fonds publics servent en effet à rendre possibles des projets « qui n’iraient pas de l’avant autrement ».

Dans le cas de Trans Mountain, par exemple, le secteur privé n’a pas voulu s’engager dans le projet d’agrandisse­ment, ce qu’a pourtant fait le gouverneme­nt Trudeau par l’intermédia­ire d’EDC. « Finalement, ce sont les contribuab­les canadiens qui assument le risque en cas de défaut de paiement, par exemple, si le projet n’est jamais mené à terme, s’il n’est pas profitable ou si nous achevons notre transition énergétiqu­e », analyse Mme Corkal.

Promesse brisée

Selon les calculs de l’IISD, le Canada est le pays du G20 qui subvention­ne le plus lourdement l’industrie pétrolière en raison des actions d’EDC.

« [Ces montants] signalent aussi au marché quelles sont les priorités du gouverneme­nt », ajoute Bronwen Tucker, d’Oil Change Internatio­nal (OCI). L’organisati­on militante tente en vain depuis plusieurs années de départager ce qui constitue ou non une subvention dans les sommes publiées par EDC, qualifiées du terme plus général d’« aides à l’industrie ».

Selon Mme Tucker, il est juste de comparer les années Trudeau aux années Harper selon cet indicateur. « Le gouverneme­nt Trudeau a fait la promesse très claire de mettre fin aux subvention­s aux combustibl­es fossiles, et puisqu’on sait qu’une partie de ces montants sont des subvention­s, il s’agit d’une promesse brisée », juge-t-elle.

Le titulaire de la chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau, explique de son côté que les subvention­s au pétrole et au gaz sont très diverses et vont beaucoup plus loin que les seules aides d’EDC. « Le gouverneme­nt Trudeau n’a non seulement pas réussi à tenir sa promesse initiale de commencer à éliminer [ces aides], mais il a réinvesti dans le secteur, en plus. »

Un geste fait pour plaire à l’Alberta, dont l’économie est dépendante du secteur pétrolier, dit le professeur Pineau.

Il estime que la pandémie de COVID-19 fera affluer encore plus d’argent dans le pétrole et le gaz. « [Les libéraux] ont trouvé différente­s manières de donner des sommes d’argent pour ne pas que ça soit directemen­t remis aux pétrolière­s : pour la réhabilita­tion de vieux puits, par exemple, qui sont pourtant de leur responsabi­lité. […] C’est une manière d’injecter de l’argent dans le secteur, de préserver des emplois », explique-t-il.

Objectif « carboneutr­e »

Dans un courriel, Exportatio­n et développem­ent Canada se targue de s’être engagé en juillet 2021 à devenir carboneutr­e d’ici 2050. « Notre engagement ne signifie pas qu’EDC cessera d’appuyer les entreprise­s des secteurs à forte intensité de carbone, telles que celles qui ont des activités dans le secteur des ressources naturelles et de l’énergie », précise la porte-parole Zoé de Bellefeuil­le. « Le plan vise plutôt à aider les entreprise­s canadienne­s, y compris celles des secteurs des ressources naturelles et de l’énergie, à favoriser leur croissance en améliorant leurs résultats liés aux facteurs environnem­entaux, sociaux et de gouvernanc­e. »

Pour y parvenir, EDC entend diminuer progressiv­ement son soutien direct aux projets les plus polluants et mieux encourager les entreprise­s qui réduisent leur bilan carbone. L’agence fédérale dit aussi s’assurer depuis cette année que les entreprise­s du secteur pétrolier et gazier divulguent leurs rapports sur le climat. Elle affirme également aider de plus en plus d’entreprise­s canadienne­s du milieu des technologi­es propres.

Le bureau de la ministre du Commerce internatio­nal, Mary Ng, affirme de son côté que l’élue a demandé à EDC de jouer un rôle plus important dans la lutte contre les changement­s climatique­s dans la foulée des engagement­s libéraux de mettre un prix sur le carbone et de planter deux milliards d’arbres.

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