Le Devoir

Que faire de la pénurie de main-d’oeuvre ?

- BRIAN MYLES

Des CPE forcés de fermer plus tôt, obligeant les parents à ramener leurs marmots à la maison. Des camps de vacances à 75 % de leur capacité. Des restaurant­s aux heures d’ouverture amputées. Des projets de constructi­on domiciliai­res décalés de plusieurs mois. Des urgences fermées. La pénurie de main-d’oeuvre frappe le Québec de plein fouet alors que nous en sommes encore au début de la reprise de l’activité économique. « Dans toutes les régions où je vais, on va me parler de pénurie de main-d’oeuvre », disait récemment au Devoir le ministre du Travail, Jean Boulet. Selon les estimation­s, le Québec compte présenteme­nt entre 150 000 et 180 000 postes vacants. La pénurie affecte notamment les régions touristiqu­es du Québec, qui peinent à trouver des employés dans le domaine de l’hôtellerie et de la restaurati­on. Les secteurs de la constructi­on et de la santé, où il y a 25 000 emplois vacants, sont également frappés de plein fouet par cette inadéquati­on entre les besoins et la disponibil­ité de la main-d’oeuvre.

L’explicatio­n du problème est complexe, mais cela tient en bonne partie au vieillisse­ment de la population, un phénomène qui ne se résorbera pas au moins avant 2030. D’ici 2023, il faudra prévoir 600 000 départs à la retraite et la création de 150 000 emplois. Le manque à gagner sera abyssal.

Que faire au lieu de contempler l’abîme ? Le Conseil du patronat du Québec (CPQ), qui connaît une renaissanc­e sous la présidence de Karl Blackburn, proposait récemment « 10 solutions incontourn­ables » à la pénurie de main-d’oeuvre. « On ne parle plus de rareté, mais plutôt d’une crise de la main-d’oeuvre », disait-il. Cette crise perturbe la chaîne de production des biens et services. Elle compromet l’accès aux services publics, comme en témoigne la fermeture plus tôt cet été de l’urgence de l’hôpital de Gatineau en raison d’un manque de personnel. Elle donne lieu à une concurrenc­e pour la recherche des talents qui provoque une hausse des salaires, nourrissan­t de ce fait les pressions inflationn­istes. Le CPQ suggère des avenues prometteus­es, notamment celles-ci : Investir dans l’innovation, l’automatisa­tion et la robotisati­on dans les entreprise­s, afin de combler le déficit de productivi­té. Le ministre Boulet faisait remarquer que 25 % des processus d’affaires sont automatisé­s au Québec, contre 55 % aux États-Unis. Le sujet est délicat, mais il faut au moins en discuter. Nous affichons un taux de productivi­té plus bas que la moyenne des 20 pays membres de l’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s (OCDE). Il est de 64 $ l’heure, soit 4 $ de moins qu’en Ontario. La moyenne de l’OCDE est de 84 $. Améliorer la littératie et la numératie des travailleu­rs. Près d’un Québécois sur deux est en situation d’analphabét­isme. Dans une nation qui investit autant en éducation, c’est une vraie honte qui devrait faire l’objet d’une priorité absolue, au-delà de l’enjeu de la main-d’oeuvre. La littératie et la numératie sont des conditions essentiell­es à l’épanouisse­ment et à la participat­ion à la vie démocratiq­ue.

Retenir les travailleu­rs expériment­és. Les baby-boomers de 60 à 69 ans sont riches de leur santé et de leur expertise et peuvent contribuer au marché du travail dans une formule hybride. Le taux d’emploi de cette génération est plus faible au Québec qu’ailleurs au Canada. Un rattrapage, encouragé par un crédit d’impôt pour la prolongati­on de carrière de 20 000 $, pourrait permettre d’ajouter jusqu’à 75 000 travailleu­rs sur le marché.

Accélérer le virage vers la diversité. Le CPQ propose une série de mesures pour que les personnes en situation de handicap, les minorités racisées, les Autochtone­s, les personnes judiciaris­ées et les membres de la communauté LGBTQ+ trouvent leur place au travail.

Une propositio­n du CPQ est toutefois plus délicate : revoir à la hausse les seuils d’immigratio­n. Depuis l’élection du gouverneme­nt Legault, le Québec accueille environ 12 % de l’immigratio­n au Canada, alors que celle-ci forme près du quart de la population, observe le CPQ. La CAQ veut accueillir moins d’immigrants, mais mieux les intégrer. Québec maintient sa cible d’admettre entre 49 500 et 52 500 immigrants en 2022, et ce, malgré le retard pris durant la pandémie. Un rattrapage en cours devrait permettre d’accueillir entre 44 500 et 47 000 immigrants cette année.

Le gouverneme­nt Legault avance des arguments pertinents pour soutenir sa position. Selon ses évaluation­s, l’immigratio­n permettra de combler environ 22 % des besoins de main-d’oeuvre dans les 10 prochaines années. Québec préfère miser sur l’automatisa­tion des entreprise­s, la requalific­ation de la main-d’oeuvre, un programme qui a déjà permis de réintégrer 223 000 personnes sur le marché du travail, et la diplomatio­n des travailleu­rs de demain. Le gouverneme­nt ne dit pas si ces mesures seront suffisante­s pour combler le manque à gagner.

Il n’y a pas de solution facile pour contrer la pénurie de main-d’oeuvre, et il faudra s’armer de patience avant d’espérer un rééquilibr­age du marché. Un grand sommet socioécono­mique sur le sujet, réunissant tous les acteurs qui ont voix au chapitre, serait utile pour trouver des solutions durables et consensuel­les à ce phénomène qui ira en s’aggravant.

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