Le Devoir

Des artistes cubains nourrissen­t l’espoir de changement

Un appui inédit au mouvement de contestati­on populaire après six décennies de communisme

- RIGOBERTO DIAZ À LA HAVANE AGENCE FRANCE-PRESSE

Des voix éminentes du monde de la culture cubaine, écrivains, cinéastes ou musiciens, ont appuyé sans retenue les manifestat­ions inédites à Cuba pour plus de liberté d’expression, un événement sans précédent que les experts interprète­nt comme un « signe que les choses changent ».

Jamais, jusqu’aux manifestat­ions des 11 et 12 juillet qui ont fait un mort ainsi que des dizaines de blessés, et qui ont conduit à des centaines d’arrestatio­ns, aucun autre événement antigouver­nemental n’avait suscité un soutien aussi unanime de la part de figures cubaines respectées, sans lien avec l’opposition.

« Devant ces déclaratio­ns de soutien, on se demande si leurs auteurs ont changé, si Cuba a changé », déclare à l’AFP l’écrivain cubain établi en Espagne, Jorge Ferrer.

Cet appui inédit après plus de six décennies de communisme répond à la violence avec laquelle le gouverneme­nt a réagi face aux manifestat­ions, qui a eu « un impact, même auprès de ceux qui d’habitude se taisent » et « provoqué chez eux un sentiment de stupéfacti­on et de rejet puissant au point de briser leur loyauté », ajoute-t-il.

Aux cris de « Liberté ! », « On a faim ! » ou « À bas la dictature ! », des milliers de Cubains sont descendus dans les rues du pays, au milieu de la pire crise économique des dernières décennies et d’un fort rebond de la pandémie de COVID-19.

Après l’explosion sociale, le président Miguel Diaz-Canel a reconnu la nécessité de « l’autocritiq­ue et de la révision profonde de nos méthodes de travail ».

« On doit être écoutés »

Peu accoutumés à ces révoltes dans la rue, les Cubains ont été tout autant stupéfaits des messages de soutien envoyés par leurs vedettes de musique populaire.

« On soutient les milliers de Cubains qui réclament leurs droits, on doit être écoutés », a écrit sur Facebook Samuel Formell, directeur des Van Van, un groupe considéré comme la « locomotive de la musique » à Cuba.

La surprise a été moindre à la lecture du message du guitariste et compositeu­r Pablo Milanes, 78 ans, qui a pris ses distances d’avec le gouverneme­nt depuis un moment, vivant une bonne partie du temps hors de l’île.

C’est « irresponsa­ble et absurde de blâmer et de réprimer un peuple qui s’est sacrifié pendant des décennies pour soutenir ce régime », a-t-il publié sur Facebook. « Ne serait-il pas mieux d’autoriser légalement les manifestat­ions des citoyens ? Révolution­naires ou non ? », s’est demandé Luis Alberto Garcia, acteur critique dont l’un des sketchs tourne en dérision le quotidien des Cubains.

D’autres célébrités cubaines ont demandé au gouverneme­nt de répondre aux demandes des manifestan­ts. C’est « un cri de désespoir » auquel les autorités doivent « donner une réponse matérielle, mais aussi politique », a estimé l’auteur de romans policiers Leonardo Padura.

Tout en émettant quelques réserves quant aux manifestat­ions, le guitariste et interprète Silvio Rodriguez a appelé sur son blogue à « moins de sanctions, moins d’envie de violences » envers les détenus « qui n’ont pas été violents », « plus de dialogue » et « plus d’envie de résoudre la montagne de problèmes économique­s et politiques actuels ».

Le cinéaste Fernando Pérez avait participé avec l’acteur Jorge Perugorria aux manifestat­ions du 27 novembre 2020 à La Havane, quand plus de 300 jeunes artistes s’étaient réunis devant le ministère de la Culture pour demander plus de liberté d’expression.

Lors d’une récente interview avec l’AFP, il a dit avoir « senti que quelque chose était vraiment en train de changer », regrettant la rupture de dialogue avec le gouverneme­nt, et la stigmatisa­tion depuis de ces jeunes artistes par les médias. Cuba a besoin « de solutions, de changement­s radicaux », a-t-il ajouté.

Pour Maria Isabel Alfonso, universita­ire cubaine vivant à New York, l’appui de ces figures de la culture cubaine « est vital pour montrer que le meilleur chemin est le dialogue et non la confrontat­ion entre Cubains ».

C’est aussi « le signe que les choses changent à Cuba et que, chaque jour, les gens se rendent un peu plus compte du fait que la liberté d’opinion doit être respectée », a-t-elle souligné.

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ADALBERTO ROQUE AGENCE FRANCE-PRESSE Le guitariste et interprète Silvio Rodriguez a appelé à « plus de dialogue » et « plus d’envie de résoudre la montagne de problèmes économique­s et politiques actuels.

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