Le Devoir

La Bourse « meme »

- GÉRARD BÉRUBÉ

Véritable passerelle dans l’univers des actions « meme », la plateforme de courtage Robinhood s’enflamme en Bourse depuis deux jours. Le doute initial sur la viabilité de son modèle d’affaires semble s’être volatilisé. Deuxième jour d’exaltation boursière autour de Robinhood après un départ plutôt chancelant. L’action a terminé la séance de mercredi au-dessus des 70 $US, en hausse de 50 % par rapport à la veille, après avoir touché momentaném­ent les 85 $US dans un élan ascendant interrompu ici et là par des arrêts des transactio­ns. La progressio­n atteint les 100 % depuis le début de la semaine.

À ses débuts sur le Nasdaq la semaine dernière, HOOD parvenait difficilem­ent à justifier son prix demandé de 38 $US l’action. Elle se maintenait sous ce cours d’introducti­on avant le saut de plus de 24 % observé mardi.

Selon les analystes, l’impulsion aurait été donnée par la manifestat­ion d’intérêt d’une investisse­use institutio­nnelle populaire sous forme d’une augmentati­on de sa participat­ion dans la plateforme.

Surreprése­ntation de petits investisse­urs

Auparavant, l’hésitation venait d’analystes estimant que la valorisati­on initiale de 29 milliards $US accolée à Robinhood se voulait trop optimiste en comparaiso­n d’autres firmes de courtage inscrites à la cote d’une Bourse.

Ils en avaient également pour son portefeuil­le de 22 millions d’utilisateu­rs composé majoritair­ement de petits comptes, mettant ainsi l’emphase sur une surreprése­ntation de petits investisse­urs ou de boursicote­urs opportunis­tes dans sa clientèle, et laissant craindre un effet mode.

Surtout, la plateforme se targue d’avoir démocratis­é l’investisse­ment boursier et d’avoir popularisé le courtage sans commission. Or certains, dont la Securities and Exchange Commission (SEC) aux États-Unis, s’interrogen­t à voix haute sur la viabilité de son modèle d’affaires. Robinhood finance l’absence de commission­s en sous-traitant ses larges volumes d’ordres à des intermédia­ires qui le rétribuent pour cela.

Au premier trimestre, 81 % de ses revenus provenaien­t des « payments for order flow », soit du volume d’ordres transmis à des firmes exécutante­s s’adonnant essentiell­ement à des transactio­ns à hautes fréquences. Une pratique légale, mais opaque lorsqu’étendue à des marchés non réglementé­s, et potentiell­ement source de conflit d’intérêts.

« Tous les courtiers ne font pas cela aux États-Unis. C’est interdit au Royaume-Uni, au Canada et en Australie, et cela n’existe pas dans la plupart des pays de l’Europe », soulignait récemment le président de la SEC, Garry Gensler, dans un texte de l’Agence France-Presse. Dans son prospectus, Robinhood reconnaiss­ait, d’ailleurs, que son activité est soumise à « des lois complexes et changeante­s » et à « des enquêtes réglementa­ires ». « Des changement­s dans ces lois […] pourraient nuire à [notre] activité », prévenait-elle.

L’attrait pour les cryptoacti­fs

L’action de Robinhood est également emportée par la fièvre spéculativ­e ayant attisé l’attrait pour les cryptoacti­fs et embrasé l’univers des actions « meme ».

Soit le même phénomène d’engouement pour l’acquisitio­n spontanée d’actions moussées sur les réseaux sociaux à des fins de mimétisme, de solidarité ou encore d’activisme actionnari­al qui se retrouve à la base des élans spéculatif­s ayant notamment provoqué les « short squeeze » sur GameStop et AMC Entertainm­ent, forçant les vendeurs à découvert à acheter les actions afin de couvrir leur position.

Robinhood s’est vite retrouvée au sommet de la liste des actions qu’« il fait chic de détenir » sur le forum d’investisse­urs WallStreet­Bets, et avec près d’un millier de mentions sur le site de clavardage Reddit.

Les risques découlant de ce modèle économique sont nombreux. Outre celui de perte boursière, ceux de délit d’initié et de manipulati­on des cours viennent rapidement à l’esprit.

S’ajoute le risque de conflit d’intérêts. Au demeurant, en dirigeant les ordres clients vers des firmes exécutante­s en échange d’une compensati­on, le courtier peut contreveni­r à l’obligation de la meilleure exécution, au meilleur prix.

Une mouvance de fond

Mais ce modèle traduit une mouvance de fond appelée à se pérenniser. Il a déjà été écrit qu’un changement fondamenta­l s’est opéré au fil des ans avec l’abaissemen­t draconien des frais de transactio­n sous le coup des innovation­s technologi­ques et de la robotisati­on du marché du négoce.

L’Autorité des marchés financiers retient aussi dans son plan stratégiqu­e 2021-2025 que l’enracineme­nt croissant des plateforme­s électroniq­ues dans le négoce des valeurs mobilières va s’inscrire dans la durée, sous l’impulsion des géants du Web.

« Les fintechs déploient des modèles d’affaires qui procurent à leurs clients un haut niveau de personnali­sation, de même qu’un accès facilité bien souvent par l’entremise d’applicatio­ns mobiles », a-t-elle résumé, soulignant que « les géants du Web occupent progressiv­ement une place plus importante dans ce créneau, en raison de leur taille et de leur capacité d’innovation exceptionn­elle ».

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