Le tourisme chez les Autochtones a la cote
L’intérêt grandissant envers les cultures des Premiers Peuples génère des occasions d’affaires
Par le passé, on a voulu détruire leur identité, notamment en leur arrachant leurs enfants et en les envoyant dans des pensionnats. Mais aujourd’hui, le vent tourne. Plusieurs communautés autochtones du Québec misent maintenant sur l’intérêt grandissant envers leur culture pour développer leur économie par le tourisme.
La nuit est sur le point de tomber. Vêtue d’un habit traditionnel de grand-mère inuite, Joan Grégoire allume les trois feux de la maison longue, une habitation traditionnelle huronne-wendate en bois et ornée de peaux d’animaux. Dans sa langue maternelle, l’artiste multidisciplinaire inuite souhaite la bienvenue au couple de Québécois venu écouter des légendes à l’hôtel-musée Premières Nations de Wendake. Elle répand ensuite de la fumée de sauge autour d’eux.
C’est alors qu’un homme apparaît derrière elle et se met à préparer des couchettes destinées au sommeil d’un groupe d’enfants. « Voici Robert, le veilleur de nuit. Il est Innu de Mashteuiatsh », explique Mme Grégoire avant d’entonner un chant accompagné de tambours.
Depuis 14 ans, l’hôtel-musée de 55 chambres de Wendake fait ainsi connaître les cultures autochtones au grand public tout en employant des membres de Premières Nations provenant de plusieurs communautés. L’intérêt du public québécois est au rendez-vous, affirme Gabriel Savard, président de Tourisme Wendake.
Avant d’être fermé de force pendant 16 mois en raison de la pandémie, l’endroit affichait d’ailleurs des taux d’occupation records. L’hôtel est sur une lancée, et M. Savard veut augmenter le nombre de chambres à 80, aménager un jardin traditionnel et rénover l’hôtel. Le restaurant servant des plats gastronomiques inspirés des mets traditionnels autochtones est aussi très populaire. « Nous avons ouvert la voie à une industrie, le tourisme, pour laquelle les Premières Nations avaient très peu d’antécédents », juge le président de Tourisme Wendake.
« Il y a un courant ces dernières années : les gens prennent conscience qu’ils n’ont qu’une connaissance très partielle des Premières Nations et de leur histoire », note-t-il. Il estime que le génocide culturel mené trop longtemps par les gouvernements et l’Église a creusé un fossé entre les peuples. Il espère en combler une partie avec son musée présentant les us et coutumes des Hurons-Wendats, un « peuple pacifique » semi-sédentaire.
Un filon florissant
Selon Tourisme Autochtone Québec (TAQ), environ 250 entreprises des Premiers Peuples offrent maintenant des activités d’hébergement, de dégustation, d’artisanat, de pêche, d’observation de la faune et de pow-wow, entre autres. « Au coeur de ces expériences, c’est notre identité, c’est l’humain qui est là », indique David Laveau, directeur général de TAQ.
Les entreprises touristiques autochtones sont de plus en plus nombreuses, de plus en plus solides et de plus en plus populaires. À titre d’exemple, lors du dernier festival Kwe ! À la rencontre des peuples autochtones, à Québec, TAQ a mis en vente 450 coffrets de dégustation pour deux personnes ; ils se sont vendus en moins de 24 heures.
« Avec les drames comme celui de Joyce Echaquan, les tombes anonymes des pensionnats, on sent énormément de solidarité [de la part des Québécois].
On n’en a jamais senti autant. Ça n’efface rien, ce sont des moments et des semaines difficiles pour tous les Autochtones, mais ça engendre une ouverture à l’autre », souligne-t-il.
Malgré cet engouement local, la saison touristique ne sera pas exceptionnelle en l’absence de visiteurs étrangers. « On est dans une période où les Québécois découvrent davantage les cultures autochtones et vont devenir de meilleurs ambassadeurs. Quand les touristes étrangers vont revenir, on va avoir un bassin de clientèle beaucoup plus grand qu’avant », croit le directeur général huron-wendat.
Revaloriser l’identité autochtone
Aux Bergeronnes, sur la Côte-Nord, une dizaine de touristes en quête de baleines mettent leur kayak à l’eau sur les berges du fleuve Saint-Laurent, dominées par de majestueux rochers roses et orange agrémentés de mousse verte. Assis à une table à pique-nique de camping, David Bédard aperçoit six ou sept ailerons sortant de l’eau. « Ce sont probablement de petits marsouins », lance le coordonnateur de l’entreprise écotouristique Mer et Monde.
L’entreprise appartient à la communauté innue d’Essipit, mais rien sur place n’indique cette affiliation. M. Bédard veut changer ça. « Ici, c’est un lieu naturel de 28 hectares, c’est très grand. Il y a la possibilité de faire des événements culturels pour s’imprégner des moeurs de la nation innue, de développer une immersion », estime le Huron-Wendat expatrié en territoire innu.
M. Bédard constate l’attrait exercé par les cultures autochtones envers non seulement les allochtones, mais aussi les membres des Premières Nations eux-mêmes, qui se réapproprient cet héritage. « Je suis persuadé que si j’avais un tipi ici et des soirées musicales, ça pognerait ! »
L’écho est le même du côté du directeur des Entreprises Essipit, Nicolas Moreau. « De plus en plus, on voit dans les commentaires laissés par la clientèle qu’ils aimeraient en apprendre davantage, goûter et vivre des expériences à caractère autochtone », dit-il en entrevue, devant les tipis et les maisons longues dressées dans un parc de la communauté.
L’organisation offre déjà des dizaines d’unités d’hébergement touristique, comme des chalets, des condos et des sites de camping sur le bord du fleuve. Elle souhaite maintenant développer des activités à saveur culturelle.
« On ne parle plus la langue, alors on ne veut pas prendre le virage folklorique et se promener avec des plumes sur la tête. Mais on veut expliquer comment vivaient nos aînés, raconter l’histoire d’Essipit. Déjà, dans nos croisières aux baleines, on essaie d’expliquer comment les Innus étaient près de la mer. Avec l’observation de l’ours noir, on raconte des histoires en lien avec les Innus et cet animal, qui est très vénéré », explique le jeune gestionnaire.
De vastes possibilités
Plus au nord, tout près de Sept-Îles, à Uashat mak Mani-utenam, Serge McKenzie souhaite voir sa communauté s’ouvrir davantage et se faire connaître. Pour l’instant, l’offre touristique y demeure limitée, reconnaît le responsable du tourisme et de l’économie sociale à la Société de développement économique Uashat mak Mani-utenam.
Le défi principal est le même qu’ailleurs, mais il semble encore plus criant : la pénurie de main-d’oeuvre. Certaines installations touristiques, comme le vieux poste de traite, sont fermées au public cet été faute d’employés pour accueillir les visiteurs.
Malgré tout, il travaille d’arrachepied sur un projet de camping de luxe situé directement dans la communauté. Le charismatique homme de 56 ans assure, étude de marché à l’appui, que les touristes seraient au rendez-vous ; il compte sur une ouverture à l’été 2023.
En matière de développement touristique, Uashat mak Mani-utenam est encore loin derrière Essipit, Wendake ou Gesgapegiag, en Gaspésie. Mais étant donné la richesse de la culture locale et la beauté des paysages nordcôtiers, les possibilités n’en sont que plus vastes.
Il y a un courant ces dernières années : les gens prennent conscience qu’ils n’ont qu’une connaissance très partielle des Premières Nations et de » leur histoire GABRIEL SAVARD