Le Devoir

À QUAND UN DÉBAT ?, L’ÉDITORIAL DE BRIAN MYLES

- BRIAN MYLES

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, avait de bonnes et de mauvaises nouvelles à communique­r aux Québécois mardi, au moment d’officialis­er l’imposition d’un passeport vaccinal. Parmi les bonnes nouvelles, le Québec est en voie de devenir un champion mondial de la vaccinatio­n contre la COVID-19. À ce jour, 84 % de la population admissible (12 ans et plus) a reçu une première dose (6,3 millions de personnes) et 70 % a obtenu une deuxième dose (5,2 millions de personnes). La campagne progresse enfin chez les 18 à 29 ans, qui arrivent à 70 % de vaccinatio­n. Nous approchons du seuil de l’immunité communauta­ire, sans cesse rehaussé en raison de la progressio­n du variant Delta.

Et c’est la mauvaise nouvelle. Ce variant beaucoup plus contagieux que la source originelle de la COVID-19 porte les germes d’une quatrième vague, d’un reconfinem­ent et d’un engorgemen­t du système de santé. Sa progressio­n inquiète la Santé publique, mais pas encore assez pour changer de palier d’alerte. Le ministre garde espoir de vacciner 1,1 million de personnes d’ici le 31 août, pour atteindre un seuil de 84 % de Québécois pleinement vaccinés. Ce seuil de 84 %, c’est le nouveau 75 % d’immunité communauta­ire qu’impose l’implacable variant Delta.

C’est dans cette ambiance d’optimisme prudent que le ministre Dubé a confirmé l’imposition d’un passeport vaccinal à l’échelle du Québec, à partir du 1er septembre, pour une série d’activités et de commerces non essentiels triés sur le volet : bars, restaurant­s, gymnases, festivals, lieux intérieurs à grand potentiel de socialisat­ion. Les commerces de détail en seront exemptés, une décision surprenant­e qui alimentera l’impression du deux poids, deux mesures. Il faut voir ce passeport pour ce qu’il est. Loin d’être un instrument de suppressio­n des libertés individuel­les, il est agité comme un argument visant à encourager encore la campagne de vaccinatio­n, planche de salut pour en finir avec l’urgence sanitaire.

L’annonce de mardi prenait les allures d’un pétard mouillé, le gouverneme­nt Legault ayant télégraphi­é depuis belle lurette qu’il envisageai­t cette mesure. Le passeport vaccinal prendra la forme d’une applicatio­n développée par Québec et d’un code QR qu’il faudra présenter pour accéder aux commerces et événements visés. Les personnes ne disposant pas d’un téléphone intelligen­t pourront toujours offrir des preuves imprimées. Plus de 90 % des personnes vaccinées ont demandé et obtenu leur preuve de vaccinatio­n par code QR. Ce taux d’adhésion très élevé rassure sur le caractère universel de la solution proposée par le gouverneme­nt Legault.

La méthode n’est pas à l’abri des fraudes. Elle ne garantit pas l’adhésion de tous les bars, gymnases et restaurant­s, parmi lesquels figurent une minorité de propriétai­res excédés par l’effet cumulatif des mesures de contrôle sanitaire. La plupart d’entre eux sont prêts à vivre avec un passeport vaccinal mais ils réclament la simplicité dans son applicatio­n, une demande tout à fait raisonnabl­e.

Pour se convaincre du bien-fondé de son approche, le gouverneme­nt fera deux projets pilotes dans un resto-bar de Québec et un gymnase de Laval au cours des prochaines semaines. Ce réflexe de prudence est louable. Il est toutefois désolant de constater que le gouverneme­nt avance par à-coups dans la diffusion des informatio­ns relatives au passeport vaccinal. Ainsi, il faudra patienter encore avant de connaître la liste complète des établissem­ents et événements pour lesquels le passeport vaccinal sera exigé.

Tant qu’à se montrer aussi prudent et facétieux, le gouverneme­nt Legault devrait faire siennes les recommanda­tions de la Ligue des droits et libertés et des partis d’opposition. Un débat public, dans le cadre d’une commission parlementa­ire circonscri­te, ne serait pas de trop pour un enjeu aussi important.

Le Devoir réitère son soutien au passeport vaccinal pour les services non essentiels, dans un souci d’équité pour les Québécois qui ont fait tant de sacrifices durant la pandémie. Nous croyons, comme la Ligue des droits et libertés, qu’une mesure sanitaire de cette importance doit être débattue et validée au terme d’un débat public, plutôt que d’être imposée de manière unilatéral­e.

Au plus fort de la crise, il y avait des raisons de gouverner par décrets. L’urgence de la situation justifiait la centralisa­tion des décisions entre les mains de l’exécutif. À Québec, les partis d’opposition se sont d’ailleurs montrés bons princes en acceptant que les institutio­ns démocratiq­ues fassent un pas de côté. Mais voilà que nous en sommes à un million de Québécois près d’atteindre une cible ambitieuse d’immunité communauta­ire. Malgré toute la crainte qu’inspire le variant Delta, la situation demeure maîtrisée dans les hôpitaux et le Québec reste en zone verte.

La gouvernanc­e en vase clos n’est plus de mise. Si le gouverneme­nt Legault veut conserver l’adhésion du public à sa gestion de la crise sanitaire, il devrait envisager le retour à la participat­ion démocratiq­ue par la grande porte de l’Assemblée nationale.

Si le gouverneme­nt Legault veut conserver l’adhésion du public à sa gestion de la crise sanitaire, il devrait envisager le retour à la participat­ion démocratiq­ue par la grande porte de l’Assemblée nationale

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