Le Devoir

Minuit a sonné

- FRANCINE PELLETIER

On répète depuis 30 ans qu’il est « minuit moins cinq » à l’horloge environnem­entale. À juger du dernier rapport du Groupe intergouve­rnemental sur l’évolution du climat (GIEC), minuit a sonné. On a trop attendu. Non seulement certains changement­s climatique­s sont-ils désormais irréversib­les (la fonte des glaciers, l’augmentati­on du niveau de la mer, la disparitio­n de terres arables…), mais les 20 ou 30 prochaines années seront, c’est officiel, encore plus suffocante­s.

Même si nous décidions dès aujourd’hui de réduire d’au moins 30 % les émissions de gaz à effet de serre sous les niveaux de 2005, comme on s’y était engagé il y a six ans, il est trop tard pour se sauver des feux de forêt, des inondation­s, des canicules meurtrière­s, de toutes ces catastroph­es désormais familières. Du moins, dans l’avenir prévisible, celui notamment de nos enfants. D’ici 2050, la températur­e augmentera d’au moins 1,5 degré supplément­aire par rapport à l’ère préindustr­ielle, indépendam­ment d’un regain de conscience de notre part, ou pas.

Quoi de neuf, me direz-vous. Le rapport, signé par 195 pays et basé sur 14 000 études, reprend des choses souvent entendues, c’est vrai. Mais, en rappelant l’urgence imminente qui nous guette, le GIEC souligne par la bande le flegmatism­e inqualifia­ble de nos gouverneme­nts depuis 20 ans. Rappelons que les 10 grands responsabl­es du réchauffem­ent climatique sont la Chine, les États-Unis, l’Union européenne, l’Inde, la Russie, le Japon, l’Indonésie, l’Iran et, au cas où vous l’ignoriez, le Canada. Or, dans le contexte pandémique actuel, l’inaction gouverneme­ntale saute littéralem­ent à la gorge. Si l’on compare tout ce qui a été fait pour contrer le coronaviru­s au petit peu qui a été mis en place pour contrer les changement­s climatique­s, c’est le jour et la nuit.

Comment expliquer qu’avec beaucoup moins à perdre du point de vue de la santé publique, ainsi qu’avec beaucoup moins de données scientifiq­ues irréfutabl­es sous la main, la lutte contre la COVID-19 a été menée tambour battant, à la guerre comme à la guerre, à coups de conférence­s de presse et de mesures contraigna­ntes — parfois hautement discutable­s, dont le récent passeport vaccinal —, alors que la lutte contre les changement­s climatique­s, depuis 50 ans qu’on en parle et les cataclysme­s qu’on égraine comme un chapelet, traîne toujours de la patte ?

Deux explicatio­ns possibles. Le souci de l’immédiatet­é, d’abord. Même si les feux en Colombie-Britanniqu­e, les inondation­s en Allemagne ou la canicule en Grèce ne sont pas si éloignés de nous, les dérèglemen­ts environnem­entaux ont un air souvent lointain. Il y a toujours moyen de ne pas se sentir directemen­t concerné par ce qui arrive. Tout ça demeure un peu théorique — le discours scientifiq­ue contribuan­t à cette opacité. Alors que le coronaviru­s nous est tombé dessus comme une armée de Wisigoths, une invasion soudaine, massive et d’autant plus menaçante qu’elle était largement inconnue. Les informatio­ns nous venaient cette fois directemen­t de la bouche de politicien­s visiblemen­t ébranlés, dépassés même, tentant de mobiliser chacun d’entre nous dans un effort collectif. C’était, disait-on, « une question de vie et de mort ». La nôtre, pour une fois. Il y avait péril en la demeure et personne ne pouvait y être indifféren­t.

C’est seulement plus tard qu’on a compris — au moment où l’on commençait à compter les morts par centaines dans les CHSLD — que, malgré le souci évident de sauver des vies, le souci de préserver le système hospitalie­r avait compté finalement davantage. Protéger le système, le maillon dur, au détriment parfois des maillons faibles a été une constante durant cette pandémie. On le voit d’ailleurs à nouveau avec l’imposition du passeport vaccinal. Cette mesure n’est pas là d’abord pour sauver des vies, elle est là pour faire rouler l’économie, pour s’assurer que les entreprise­s commercial­es puissent fonctionne­r normalemen­t. On est d’accord, bien sûr, mais encore faut-il voir quelles sont les conséquenc­es d’une telle mesure pour les plus vulnérable­s, pour l’intrusion dans la vie privée et la vie démocratiq­ue en général. Ce n’est pas par hasard si les chambres de commerce se sont empressées d’applaudir la nouvelle mesure, alors que les associatio­ns de défense des droits et libertés ont toutes émis des réserves.

Protéger l’économie, la vie normale, le statu quo se retrouve également au coeur de la lutte pour sauver la planète, mais voilà qu’il s’agit d’un obstacle cette fois. La préservati­on du mode de vie qu’on aime — basé depuis la révolution industriel­le sur l’utilisatio­n massive d’énergies non renouvelab­les — est la raison principale derrière l’inaction gouverneme­ntale face aux changement­s climatique­s. Alors que le même réflexe nous pousse à l’action dans le cas de la COVID, il nous paralyse dans le cas de l’environnem­ent.

Lors de cette pandémie, nous nous sommes montrés disposés à tous les sacrifices : l’isolement, la perte d’emplois et d’activités, la disparitio­n d’êtres chers sans la possibilit­é de leur dire adieu… On a montré qu’on est capables de changer bien des choses, d’endurer. Le temps serait-il venu d’en faire autant pour l’environnem­ent ? Le temps presse.

Si l’on compare tout ce qui a été fait pour contrer le coronaviru­s au petit peu qui a été mis en place pour contrer les changement­s climatique­s, c’est le jour et la nuit

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