Le Devoir

Philippe Cyr, nouveau directeur artistique du théâtre Prospero

Carmen Jolin et le Groupe de la Veillée passent la main à Philippe Cyr pour la direction

- ARTS VIVANTS MARIE LABRECQUE COLLABORAT­RICE

Le théâtre Prospero a un nouveau directeur artistique et codirecteu­r général. Le metteur en scène Philippe Cyr succède dès mercredi, jour même de l’annonce tenue secrète jusqu’ici, à Carmen Jolin, qui aura assumé seule le double rôle durant douze années. Une décision prise il y a deux ans, donc sans lien avec le contexte actuel.

« Pour moi, c’était le moment de mettre fin à un cycle de travail, celui de directrice, explique Mme Jolin. Et je considérai­s que c’était rendu un moment très puissant dans la place du Prospero, [avec] les collaborat­ions extérieure­s, les liens avec l’Europe… J’avais fait les choses que j’avais eu l’intuition de devoir mettre en marche. »

La directrice sortante quitte ce rôle très exigeant, un « poste de dévotion », afin de pouvoir « travailler à un autre rythme et de [se] donner du temps à [elle] ». Le changement vient d’ailleurs avec le sectionnem­ent de la direction générale, car le poste sera désormais partagé avec une autre personne, qui sera nommée plus tard.

Une division du travail nécessaire pour permettre au nouveau directeur de poursuivre sa pratique artistique — même si c’est avec un nombre réduit de production­s. La charge est trop grosse, indique Jolin. « Les demandes par rapport aux théâtres sont devenues immenses, ce n’est pas ce que c’était il y a 20 ans. Maintenant, on doit faire de la médiation culturelle, du financemen­t privé… »

Une réflexion plus large

Cela signifie aussi que le Groupe de la Veillée, qui a fondé l’institutio­n et qui l’anime depuis, cède les rênes du Prospero à un artiste extérieur à cette compagnie, créée en 1974 — notamment par Gabriel Arcand — et dirigée précédemme­nt (1993-2010) par Téo Spychalski.

La décision personnell­e de Carmen Jolin a entraîné une réflexion plus large au sein du Groupe, explique-t-elle. Au terme de nombreuses discussion­s entre les membres, « on a décidé que c’était le temps de donner les destinées du théâtre à d’autres génération­s ». Et ils voulaient offrir au successeur autant de liberté qu’ils en ont eue, celle de définir son propre trajet, sans imposer une vision préétablie. « S’il y a une poussée à faire vers l’avenir — et il y a un beau projet de rénovation qu’on a préparé, qui est sur les bureaux du ministère de la Culture —, elle devrait être menée par des jeunes, qui ont d’autres désirs peut-être, d’autres façons de faire. Il faut offrir la possibilit­é que quelque chose de neuf se passe. La Veillée va accompagne­r l’arrivée de la nouvelle direction. Donc, elle ne disparaît pas automatiqu­ement, mais elle accueille et ne veut pas préciser son avenir. »

Le nouveau directeur hérite donc d’un projet « à construire, artistique­ment, mais dans la structure » aussi. Philippe Cyr, qui y voit « un cadeau assez formidable à la communauté », salue ce geste « pas évident » de Mme Jolin et compagnie. « Le Groupe de la Veillée a une histoire de 40 ans. Je trouve ça très noble et très beau. Cela m’émeut, moi, cette manière de dire “nous, on a fait une partie de notre histoire et il faut que la suite se fasse autrement”. Ce n’est pas toujours le cas. Il y a là un geste fabuleux. »

Leader

Philippe Cyr est l’un des créateurs trentenair­es les plus en vue de la scène montréalai­se. Sa prédécesse­ure loue sa « grande maturité, son esprit posé », son écoute. « On avait envie de choisir une personne qui pourrait être un leader, qui peut rassembler le milieu. Philippe [bénéficie] d’une reconnaiss­ance dans son milieu. »

Diriger une institutio­n ? Le principal intéressé y songeait, mais il ne pensait pas « nécessaire­ment que ça arriverait si tôt ». Cyr est attaché au théâtre de la rue Ontario, là où il a signé ses premières mises en scène entre 2007 et 2010, même si, comme le note Carmen Jolin, il n’y avait pas retravaill­é depuis une décennie. « Il n’a jamais été réinvité parce que moi, j’avais des questions sur la dramaturgi­e, le jeu, et que lui travaillai­t sur d’autres axes. »

Cette confiance, cette chance donnée à celui qui était alors un créateur débutant, constitue un élément marquant pour Philippe Cyr. « Il y a ici un espace de liberté, d’essai et une main tendue vers la relève. Pour moi, c’est super important. » Et il reconnaît son parcours, certains de ses projets pour sa compagnie L’Homme allumette, dans cette idée de théâtre d’art et d’essai. « J’adore la prise de risques, les lignes esthétique­s fortes. Et ce lieu permet ça. »

Le directeur dit avoir envie de défendre une vision où l’art théâtral n’a pas besoin d’autre justificat­ion. « Je trouve que, par moments, dans le discours, c’est comme si on avait amenuisé le théâtre, comme s’il ne pouvait pas se suffire à lui-même : le théâtre doit être événementi­el, nécessaire, ou parler de ce qui se passe… »

Le metteur en scène de J’aime Hydro et du Brasier, qui a beaucoup fait de créations, est aussi séduit par l’historique du répertoire étranger au Prospero. « C’est quelque chose que j’ai moins exploré, mais qui m’attire énormément. Donc, ce n’est pas un volet que je vais tasser. Même si je vais continuer de m’intéresser à la création pure et dure, à partir d’un autre matériel qu’un texte. »

Pour le moment, la saison 2021-2022 sera l’ultime programmée par Carmen Jolin. Elle comptera quatre production­s de la Veillée l’hiver prochain, dont des créations reportées de la saison précédente, et la réouvertur­e en janvier, espère-t-elle, de la Salle intime pour quatre jeunes compagnies. Après coup, Jolin a constaté que c’est une « sorte de synthèse, finalement, du directorat des douze dernières années. Une saison forte ».

Les demandes par rapport aux théâtres sont devenues immenses, ce n’est pas ce que c’était il y a 20 ans. Maintenant, on doit faire

de la médiation culturelle, du financemen­t privé…

CARMEN JOLIN

À découvrir le 25 août

Il y a ici un espace de liberté, d’essai et une main tendue

vers la relève. Pour moi, c’est super important.

PHILIPPE CYR

Le metteur en scène de J’aime Hydro et du Brasier, qui a beaucoup fait de créations, est aussi séduit par l’historique du répertoire étranger au Prospero

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR La directrice sortante du théâtre Prospero, Carmen Jolin, en compagnie de son successeur, Philippe Cyr

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