Le Devoir

Échapper au moule de l’école par les cours virtuels

Un projet pilote permet à 3500 élèves de suivre leurs cours à distance

- MARCO FORTIER LE DEVOIR

On est réalistes, on le sait que le présentiel, c’est bon. Notre but est de raccrocher des élèves qu’on était en train de perdre dans le » réseau de l’éducation. JULIE GAGNÉ

La présence à l’école a beau être obligatoir­e en vertu de la loi, plus de 3500 élèves du primaire et du secondaire suivent leurs cours à distance même s’ils n’ont aucun problème de santé qui les rend vulnérable­s à la COVID-19.

Selon ce que Le Devoir a appris, un projet pilote de trois ans mis en place par Québec ouvre la porte à l’enseigneme­nt en ligne à ces milliers d’élèves triés sur le volet. Pour qu’ils y aient droit, les parents doivent démontrer que l’école virtuelle est la meilleure solution pour leurs enfants en raison d’une série de circonstan­ces : intimidati­on à l’école, anxiété grave, troubles de comporteme­nt ou d’apprentiss­age, autisme, douance, éloignemen­t des grands centres ou encore participat­ion à des programmes de sport-études ou arts-études nécessitan­t des absences régulières de la classe.

Il s’agit d’un virage par rapport à l’enseigneme­nt à distance qui est offert uniquement pour des raisons médicales — et avec un certificat médical — depuis le début de la pandémie. Avec ce nouveau projet pilote, Québec offre désormais l’école virtuelle à des enfants « différents », qui n’entrent pas dans le moule de l’école en présence. Mais à des conditions strictes.

Le programme permet l’enseigneme­nt à distance à « des élèves qui sont dans l’impossibil­ité de fréquenter l’école parce qu’ils doivent recevoir des soins spécialisé­s de santé ou des services sociaux », explique une lettre du sous-ministre de l’Éducation, Alain Sans Cartier, envoyée à une école virtuelle mise sur pied en vertu du projet pilote de trois ans.

« Le choix de recourir à de tels services à distance dans ces situations doit s’appuyer sur une analyse des besoins individuel­s pour chacun des élèves visés », ajoute-t-il.

Le ministère de l’Éducation précise qu’environ 3500 élèves du primaire et du secondaire suivent leurs cours à distance en vertu de 56 projets pilotes. Cette initiative (de septembre 2021 à juin 2024) s’inscrit dans le Plan numérique, qui vise à « favoriser le déploiemen­t de la formation à distance (FAD) à l’enseigneme­nt primaire et secondaire. […] Les conclusion­s de ce projet contribuer­ont à définir les orientatio­ns du Ministère pour le futur. »

L’Académie Juillet, une école primaire privée de Candiac, en Montérégie, fait partie des établissem­ents autorisés à élargir leur offre de cours en ligne en vertu du projet pilote. L’Académie a créé une école virtuelle en bonne et due forme qui accueille 16 élèves de troisième, quatrième, cinquième et sixième année. Ils sont regroupés dans une seule classe. L’enseignant­e habite à La Baie, au Saguenay. Les élèves résident dans 16 villes différente­s.

« Ça fonctionne vraiment bien. On voit une nette améliorati­on de la motivation et de la réussite de nos élèves de l’école virtuelle », dit Julie Gagné, adjointe à la direction de l’Académie Juillet.

« On est réalistes, on le sait que le présentiel, c’est bon. Notre but est de raccrocher des élèves qu’on était en train de perdre dans le réseau de l’éducation. Si on peut leur donner une expérience positive pendant un an ou deux pour qu’ils reviennent ensuite à l’école en présence, c’est tant mieux », ajoute-t-elle.

Des élèves encadrés

Les parents d’élèves de l’école virtuelle sont enchantés. Vanessa Munoz constate que l’enseigneme­nt à distance correspond sur mesure, « pour le moment », aux besoins de sa fille de 10 ans. Cette élève légèrement autiste a vécu du harcèlemen­t à son école de quartier, dans les Laurentide­s, au nord de Montréal.

La fillette est autonome, mais a besoin d’accompagne­ment en classe. Or, les services profession­nels manquaient cruellemen­t à son école publique. Vanessa Munoz estime que sa fille est mieux encadrée avec l’école virtuelle. Elle apprécie la disponibil­ité et la bienveilla­nce de l’enseignant­e titulaire, qui a du temps à consacrer à chacun des élèves.

« Ma fille peut se concentrer sur la matière à apprendre. Les écoles régulières ne sont pas adaptées pour les enfants qui sont légèrement différents. Si tu ne “fittes” pas dans le moule, tu n’as pas un enseigneme­nt qui répond à tes besoins », déplore la mère de famille.

Hugo Vézina constate lui aussi une améliorati­on du moral de son fils de 9 ans depuis qu’il suit tous ses cours en ligne. Le garçon se faisait intimider à l’école, mais « mes appels n’ont jamais été pris au sérieux », affirme-t-il. L’école virtuelle offre aussi un meilleur encadremen­t au garçon, qui a besoin d’un suivi serré pour réussir, note le père de famille qui réside dans ChaudièreA­ppalaches, au sud de Québec.

Même s’ils sont satisfaits, les deux parents soulignent que les frais de 6795 $ par année à l’Académie Juillet représente­nt une somme considérab­le par rapport à l’école publique gratuite. Ils souhaitent que le réseau public s’ouvre davantage aux solutions faites sur mesure pour des élèves ayant des besoins particulie­rs. L’école virtuelle fait partie de ces idées innovatric­es.

« Je vois ça comme un sauvetage. On a des élèves qui ne fonctionna­ient pas bien à l’école et pour qui l’enseigneme­nt à distance est un tremplin pour revenir en présence », dit Maryline Dallaire, l’enseignant­e des 16 élèves de l’école virtuelle de l’Académie Juillet.

L’émotion s’entend quand elle raconte qu’une de ses élèves, qui avait de grandes difficulté­s en lecture, peut maintenant lire des consignes données à tous les enfants de la classe. Ou en évoquant cette fillette qui a confié « se sentir à sa place pour la première fois de sa vie » en contexte scolaire.

« J’ai le temps de bien cerner les intérêts de mes élèves. On discute, on partage. Je suis tellement heureuse quand je réussis à capter leur attention », raconte l’enseignant­e dans la trentaine, mère de trois enfants.

L’angle mort de l’école virtuelle, c’est le manque de socialisat­ion avec de vraies personnes, et non par écran interposé, croit Maryline Dallaire. « Les enfants ont beau jouer avec les amis de leur quartier, ce n’est pas comme à l’école », dit-elle.

Une solution temporaire

Loin d’être anecdotiqu­e, cette absence de socialisat­ion représente une lacune majeure de l’enseigneme­nt à distance, rappelle Steve Bissonnett­e, professeur au Départemen­t d’éducation de la TELUQ. Sans récréation­s, sans activités parascolai­res et avec des interactio­ns limitées de façon virtuelle, les enfants n’ont pas accès à une des missions principale­s de l’éducation — celle d’apprendre la vie en société.

Le professeur est bien placé pour parler de l’école virtuelle : il enseigne dans une université créée spécifique­ment pour offrir des cours à distance. « Ce modèle est conçu pour des adultes autonomes et responsabl­es, pas pour des enfants du primaire », fait valoir M. Bissonnett­e.

Il ose croire que le Québec évitera les pièges des écoles virtuelles à grande échelle, qui sont un « échec monumental » aux États-Unis. « Des chercheurs ont recommandé un moratoire pour stopper le développem­ent de ce type d’écoles aux États-Unis, tellement les résultats sont mauvais », dit-il.

Dans un monde idéal, l’école virtuelle est une « solution de dernier recours » en situation de crise comme lors des vagues successive­s de la pandémie. « L’enseigneme­nt à distance est mieux que pas d’enseigneme­nt du tout. Si c’est bien utilisé et de façon temporaire, je pense que ça a sa place. Mais il ne faut pas que ça devienne un caprice de parents qui pensent que c’est mieux pour leur enfant à long terme », affirme Steve Bissonnett­e.

Même les élèves intimidés risquent de souffrir d’être retirés de l’école sur une longue période, selon lui. « Isoler un enfant, ce n’est pas lui permettre de développer les moyens de faire face à ses problèmes. Si on le sort de l’école [en lui enseignant à distance] ou si on le change d’école, l’intimidati­on risque de recommence­r quand il va revenir en société. Il faut lui apprendre des façons de réagir pour ne pas retomber dans le même pattern. »

Je vois ça comme un sauvetage. On a des élèves qui ne fonctionna­ient pas bien à l’école et pour qui l’enseigneme­nt à distance est un tremplin pour revenir en présence.

MARYLINE DALLAIRE

Newspapers in French

Newspapers from Canada