Pauvreté et faible littératie, une spirale de précarité
La coexistence de défis de littératie et de faibles revenus donne lieu à une tempête sociale parfaite dans certaines régions du Québec, révèle une étude de la Fondation pour l’alphabétisation dévoilée mardi. Elle met en lumière l’existence d’un noyau dur de la population au sein duquel ces problèmes seront encore plus difficiles à résoudre. Au Québec, c’est donc 6 % de la population âgée de 15 ans et plus, soit près de 400 000 personnes, qui est touchée par ce double obstacle.
Les derniers résultats détaillés du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA) révèlent que 53 % des Québécois de 16 à 65 ans n’atteignent pas le niveau 3 en littératie. L’économiste Pierre Langlois, auteur de l’étude La littératie au Québec. Un regard local sur les enjeux, est allé plus loin en liant le phénomène à la pauvreté économique.
« Si j’ai de la difficulté chaque mois à répondre à mes besoins primaires sur le plan économique, je n’arrive pas, comme individu ou comme ménage, à me dégager le temps ou l’énergie nécessaires pour mettre à niveau mes compétences de base ou, mieux encore, me lancer dans un processus de requalification professionnelle », explique M. Langlois. Les deux phénomènes s’alimentent l’un et l’autre, créant une spirale de précarité sociale et économique de laquelle on ne peut sortir sans une aide externe.
C’est en corrélant les résultats du PEICA (2012) aux données du dernier recensement canadien (2016) dans la perspective d’un double facteur de pauvreté économique et sociale, y compris le niveau de littératie, que l’économiste propose un « indice de grande vulnérabilité », capable d’estimer et de situer les populations touchées.
« Par des croisements de données, on se rend compte que dans plusieurs régions du Québec, il y a des taux qui sont vraiment alarmants », explique André Huberdeau, président de la Fondation pour l’alphabétisation. Pour certaines villes et certains quartiers, l’indice dépasse les 10 %, notamment à MontréalNord, dans les quartiers Saint-Michel et Parc-Extension ainsi que dans les villes de Joliette, Shawinigan et Lachute.
Pour M. Huberdeau, ce genre de niveaux de littératie « laissent la place à beaucoup d’opinions, mais peu de faits ». « Si on n’est pas capable de recevoir une opinion et de la valider à travers nos lectures, on devient une société très influençable, précise-t-il. Ce n’est pas nécessairement une bonne chose dans une démocratie. »
Un phénomène urbain
Bien que le phénomène existe aussi en région, il est principalement urbain et lié à des quartiers défavorisés. « C’est tous les enjeux socio-économiques de ces quartiers-là qui se transposent dans les données », explique M. Langlois.
Pour 2016, l’indice de grande vulnérabilité pour Montréal est estimé à 8,76 %, soit 2,74 points de pourcentage de plus que la moyenne québécoise. Ce taux représente une population de 122 469 Montréalais vivant en situation de grande vulnérabilité. Compte tenu de la composition sociodémographique des différents arrondissements, secteurs et quartiers de la ville, Montréal-Nord, Saint-Léonard– Saint-Michel et Parc-Extension–Villeray affichent des taux plus élevés.
Dans la ville de Québec, les résultats sont plus uniformes qu’à Montréal, et l’indice de grande vulnérabilité y est plus faible. On estime que 4,60 % de la population de 15 ans et plus de la capitale nationale est en situation de grande vulnérabilité, soit 20 286 individus. C’est toutefois dans l’arrondissement de Beauport et une partie de La Cité-Limoilou qu’on retrouve la plus forte concentration, avec 7,58 %, ou 6 060 individus.
Les grandes villes de banlieue, comme Terrebonne, Brossard, Repentigny, Blainville, Saint-Eustache, Mascouche ou Boucherville, affichent quant à elles des indices de vulnérabilité bien inférieurs à la moyenne québécoise. L’indice de grande vulnérabilité estimé pour Boucherville, par exemple, frise le 1 %. Un résultat similaire est observable dans les grandes villes majoritairement anglophones comme Dollard-des-Ormeaux et Pointe-Claire.
« Il faut comprendre que ce phénomène est multifacette. Pour répondre à ces problèmes, ça prend des programmes et des approches qui font face aux différents aspects — la sécurité du revenu, le capital humain, la littératie — dans un tout », rapporte M. Langlois.
La conclusion de l’étude propose notamment une approche intersectorielle qui pourrait être préconisée au Québec. En ce sens, M. Huberdeau espère « qu’à partir de ces données, des groupes vont se prendre en main pour trouver des solutions au niveau local ». « Ça prend une conscience communautaire », ajoute-t-il.