Le Devoir

Un ultime acte de foi

- MICHEL DAVID

Après des décennies de promesses rompues et d’espoirs déçus, on peut comprendre que la perspectiv­e d’une énième réforme du réseau de la santé en laisse plusieurs sceptiques. Il est même étonnant que 39 % des Québécois croient encore que Christian Dubé réussira à la mener à bien, selon un récent sondage Léger, alors que 34 % ont abandonné tout espoir et que 28 % ne savent plus quoi penser.

Cet optimisme relatif repose en grande partie sur la crédibilit­é que sa gestion de la pandémie a conférée à l’actuel ministre. Un Québécois sur trois (32 %) juge que M. Dubé a été le ministre le plus efficace des vingt dernières années à la Santé, soit deux fois plus que pour ses cinq prédécesse­urs réunis.

À quelque chose malheur est bon, dit-on. L’habitude de l’échec a fait baisser les attentes, et le ministre a le don de présenter un recul comme une occasion de mieux sauter.

Alors que la CAQ a clairement manqué à son engagement, irréaliste au départ, de donner à tous l’accès à un médecin de famille durant son premier mandat, le nombre d’« orphelins » a plutôt doublé. M. Dubé promet maintenant de le réduire de moitié d’ici la fin de mars 2023, en accordant la priorité à la clientèle la plus vulnérable.

On connaît la chanson : les choses vont aller mieux… Après la prochaine élection. Difficile de blâmer ceux qui auront du mal à faire un nouvel acte de foi.

Il faut bien se réjouir de l’entente « structuran­te et clé » annoncée dimanche avec la Fédération des médecins omnipratic­iens du Québec (FMOQ) pour favoriser la collaborat­ion entre les diverses catégories de profession­nels de la santé.

Le problème des ententes réside souvent dans l’interpréta­tion que les uns et les autres en font, ces fameux détails où le diable se cache. Malgré la participat­ion des infirmière­s spécialisé­es, des pharmacien­s et autres profession­nels au nouveau guichet unique aux soins de première ligne, M. Dubé calcule que les médecins oeuvrant au sein des groupes de médecine familiale (GMF) offriront nécessaire­ment plus d’heures de rendez-vous.

L’entente repose toutefois sur une base volontaire, sans quoi il n’y en aurait pas eu. Le président de la FMOQ se dit convaincu que la majorité de ses membres y souscrira, mais pourquoi accepterai­ent-ils de travailler davantage s’ils estiment en faire déjà assez ?

L’automne dernier, le premier ministre Legault reprochait aux omnipratic­iens de ne pas prendre en charge suffisamme­nt de patients et menaçait d’utiliser les données de la Régie de l’assurance maladie pour débusquer les tire-au-flanc.

La FMOQ avait répliqué que ses membres travaillai­ent 45 heures par semaine et que le problème était plutôt qu’il manquait 1000 médecins, alors que le Québec en compte déjà plus par tranche de 100 000 habitants qu’ailleurs au Canada.

On a comme une impression de déjà vu. Gaétan Barrette avait aussi décidé d’employer la manière forte, mais Philippe Couillard avait préféré éviter la confrontat­ion, s’en remettant à des promesses qui ne se sont pas concrétisé­es. On verra bien.

Après deux ans et demi de pandémie, il va de soi que la santé sera un enjeu central de la prochaine campagne électorale. Tout le monde peut comprendre que la crise sanitaire a bouleversé les projets dans de nombreux secteurs, la santé au premier chef, mais le virus a le dos large. Avant que la pandémie éclate, les choses allaient déjà dans la mauvaise direction. Les partis d’opposition ne manqueront pas de dire que le passé est garant d’un sombre avenir.

Il ne faut évidemment pas compter sur eux pour prêcher la patience, mais il serait illusoire d’espérer une refondatio­n rapide après des décennies d’alternance entre la procrastin­ation et les coups de sang.

Ainsi, M. Dubé paraît bien optimiste en se donnant pour objectif d’affranchir le réseau des agences privées de placement dans un délai de trois ans, particuliè­rement en région, où la main-d’oeuvre locale est largement insuffisan­te pour subvenir aux besoins.

Si la collaborat­ion avec les médecins est indispensa­ble, elle l’est tout autant avec les autres travailleu­rs de la santé. En décembre, le président de la FTQ, Daniel Boyer, déplorait l’absence de « dialogue social » avec le gouverneme­nt Legault. La semaine dernière, il avait changé de ton et voyait maintenant une ouverture. « Je pense que le ministre de la Santé a compris que c’est un gage de succès de nous parler et de tenter de s’entendre avec nous », a-t-il dit.

Précisémen­t en raison de la confiance dont il bénéficie, M. Dubé n’a pas droit à l’échec. Si lui ne réussit pas, la population conclura que le système est vicié à sa base et que la seule solution est d’ouvrir toutes grandes les portes au secteur privé, comme le propose le Parti conservate­ur d’Éric Duhaime. Un ultime acte de foi est nécessaire, mais un nouvel échec serait fatal.

À quelque chose malheur est bon, dit-on. L’habitude de l’échec a fait baisser les attentes, et le ministre Dubé a le don de présenter un recul comme une occasion de mieux sauter.

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