Le Devoir

Patients en quête d’un sanctuaire

- Charles-Albert Morin Intervenan­t pair aidant et patient partenaire

Jamais je n’aurais cru que ma formation en science politique me permettrai­t un jour de m’extirper d’une unité d’urgence psychiatri­que.

Au cours des années précédant mon hospitalis­ation, j’avais appris à développer des arguments précis, probants, percutants. À l’hôpital, quelques heures à peine après avoir été attaché à un lit et m’être fait administre­r des médicament­s de force pour me calmer, j’ai minutieuse­ment préparé mon exposé pour convaincre le psychiatre devant moi que j’étais apte à retourner dans la communauté. Je savais que je ne l’étais pas, mais j’étais prêt, et j’ai réussi à le convaincre de me donner mon congé.

La veille, une amie et mon frère m’avaient vu crier et fondre en larmes alors que les gardes s’approchaie­nt de moi. J’avais à peine franchi les portes de l’urgence que, déjà, je voulais immédiatem­ent en sortir. L’endroit était vétuste, le personnel surmené. Le traumatism­e fut immédiat. C’est là que j’ai compris que le lieu que j’avais en tête, celui qui devait me servir de sanctuaire suprême pour m’apaiser enfin, non seulement n’existait pas, mais que le lieu où j’avais abouti avait aggravé mon état.

Quelques années plus tard, j’ai mis les pieds dans des unités d’hospitalis­ation psychiatri­que de la grande région montréalai­se en tant qu’assistant de recherche, puis en tant qu’intervenan­t. Cela m’a fait comprendre que mon constat d’alors n’était pas attribuabl­e au filtre noircissan­t de la maladie mentale dont j’avais alors souffert. Leur état était bel et bien désolant. Les

Il faut revoir le modèle des unités psychiatri­ques en donnant la parole aux usagers. Eux seuls savent quels écueils on doit éviter pour réussir à les soigner plutôt que leur faire vivre un cauchemar.

gens y étaient toujours entassés, l’ambiance aussi tendue. Certains endroits, pourtant conçus pour soigner, « produisaie­nt » donc de la souffrance psychologi­que.

Quelle ne fut pas mon indignatio­n d’apprendre que certaines de ces unités n’étaient en plus pas climatisée­s, transforma­nt le cauchemar psychologi­que en cauchemar physique lors des canicules. Un cauchemar insupporta­ble qui se reproduit désormais chaque année.

De telles unités sont l’expression ultime du manque de considérat­ion qui perdure encore vis-à-vis des personnes souffrant de troubles mentaux. Elles nient la dignité humaine. Pas étonnant que toute une littératur­e scientifiq­ue se penche sur ce que l’on nomme le traumatism­e de l’hospitalis­ation. Mais il y a pire. Comme le mentionnai­t une experte questionné­e par La Presse il y a un an, le manque de ressources serait en cause dans plusieurs des suicides commis dans les unités psychiatri­ques du Québec au cours des dernières années.

Le dernier Plan d’action interminis­tériel en santé mentale, dévoilé en janvier, a certes été salué par l’Associatio­n des médecins psychiatre­s du Québec pour la mise en oeuvre et le déploiemen­t de solutions autres que les hospitalis­ations « traditionn­elles », comme les hospitalis­ations à domicile. Dans un monde idéal où l’on viendrait à bout du sous-financemen­t chronique de la santé mentale dénoncé quasi universell­ement sur toutes les tribunes, on interviend­rait de façon précoce avec un arsenal d’outils qui ferait diminuer les crises menant à des hospitalis­ations.

Or, jusqu’à nouvel ordre, des personnes malades vont continuer de se présenter, souvent contre leur gré, dans ces unités. Elles y seront admises dans un état de crise tel que ce milieu d’accueil leur sera fatalement délétère.

Au début des années 1960 paraissait Les fous crient au secours. Témoignage d’un ex-patient de Saint-Jean-de-Dieu, récit qui détaille les atrocités que son auteur a vécues en étant interné à l’asile. Le Dr Camille Laurin a signé la préface de ce texte signé Jean-Charles Pagé, qui enjoignait aux décideurs de changer les choses, et vite. La controvers­e qu’avait provoquée la sortie de l’ouvrage allait mener à la mise sur pied d’une commission d’enquête. Celle-ci accouchera d’un rapport qui inaugurera un changement de paradigme dans les soins psychiatri­ques.

Alors que la Semaine de la santé mentale bat son plein, force est d’admettre que nous sommes encore devant une telle jonction historique. Comme ce fut le cas il y a 60 ans, de concert avec les employés du réseau qui veulent aussi des conditions plus humaines, il faut revoir le modèle des unités psychiatri­ques de fond en comble en donnant la parole aux usagers. Eux seuls savent quels écueils on doit éviter pour réussir à les soigner plutôt que leur faire vivre un cauchemar.

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