Le château Dubuc livré en pâture à la mer
Le concept de responsabilité partagée en patrimoine n’a plus de sens quand aucun leadership n’est exercé
Depuis quelque temps à Chandler, le château Dubuc, une villa patrimoniale d’intérêt national, est laissé en pâture aux caprices de la mer. Cet état d’abandon d’un magnifique témoin de notre histoire industrielle est un véritable scandale. C’est pourquoi nous vous lançons un cri du coeur, pour ne pas dire un cri de désespoir. Nous pensons que seule votre intervention, Madame la Ministre de la Culture, peut encore sauver ce joyau du patrimoine gaspésien et québécois.
Le château Dubuc fait l’objet d’une citation patrimoniale par la Ville de Chandler et par la MRC du RocherPercé. Cette magnifique villa (et ses bâtiments attenants) représente un témoin important de l’histoire industrielle de Chandler et du Québec.
Considéré comme le roi de l’industrie des pâtes et papiers au Québec, Julien-Édouard-Alfred Dubuc est une figure marquante de notre histoire. En 1915, la compagnie St. Lawrence Pulp and Lumber, associée à la Chicoutimi Pulp Co., confie à Dubuc la mise en place et l’exploitation de l’usine de pâtes et papier de Chandler. Il demande alors qu’on lui construise une maison d’été (1916) sur le banc pour y faire venir sa famille et ses amis. Dubuc sera maire de Chicoutimi (1932-1936) et député de Chicoutimi à la Chambre des communes (1925 à 1945). Le château Dubuc s’est vu attribuer « une valeur patrimoniale élevée » en raison de son architecture avant-gardiste, inspirée de courants en vogue aux États-Unis au début du XXe siècle.
Les changements climatiques mènent la vie dure au patrimoine de la Gaspésie. D’ailleurs, on est en droit de vous féliciter pour l’injection de plus de 20 millions de dollars permettant de sauver en tant qu’Espace bleu gaspésien la villa Frederick-James à Percé, menacée par l’érosion de la falaise. Toutefois, au même moment, une autre villa d’une grande importance, le château Dubuc, a besoin en toute urgence de votre aide.
Il existe au Québec un déficit de fierté des autorités publiques envers le patrimoine, le tout étant jumelé à un manque de moyens. La vérificatrice générale du Québec l’a bien signalé dans son rapport de 2020. On connaît la suite. Votre gouvernement s’est engagé à promouvoir cette fierté patrimoniale qui est une assise majeure de notre identité culturelle. En ce sens, il faut saluer la création des Espaces bleus et la mise en place, aux termes du projet de loi no 69 (avril 2021), de règles de conservation plus strictes régissant les biens cités par les municipalités.
Or, cette responsabilité partagée ne semble pas être respectée de tous. C’est notamment le cas pour le château Dubuc, qui, bien qu’il s’agisse d’un bien cité, n’a pas reçu au cours des derniers temps l’attention des autorités concernées. Certes, vous avez offert en octobre dernier 40 000 $ pour mettre cette villa à l’abri des intempéries, mais le refus en décembre du conseil municipal d’apporter sa contribution en y injectant 10 000 $ a compromis le tout. Voilà un exemple qui démontre bien que le concept de responsabilité partagée n’a plus de sens quand aucun leadership n’est exercé.
Trois signes encourageants
Que faire maintenant ? Au nom de l’intérêt supérieur ayant trait à un bien patrimonial exceptionnel, vous avez aujourd’hui le devoir d’assumer votre leadership dans ce dossier par la mise en place d’un plan d’actions concertées. D’ailleurs, trois signes encourageants vous incitent à le faire. D’abord, des citoyens ont créé récemment un OBNL, la Corporation patrimoniale du château Dubuc à Chandler, visant la prise en charge des démarches de déménagement du bâtiment. Ensuite, le copropriétaire, Michel St-Pierre, se dit « prêt à céder gratuitement le bien qu’il détient avec son ex-conjointe ». Et pour sa part, « le nouveau conseil municipal de Chandler se dit prêt à aider dans la mesure du possible (fournir un terrain et de l’aide technique) ».
Ce sauvetage ne pourrait-il pas profiter du Plan de 437 millions de dollars sur cinq ans, annoncé jeudi dernier par votre collègue le ministre de l’Environnement, qui vise, entre autres, à contrer les effets des changements climatiques, dont l’érosion côtière ?
De plus, il est dans votre intérêt de sauver la villa, car un refus d’intervenir de votre part occasionnerait quand même des frais à votre gouvernement. En effet, le bâtiment, emporté par la mer et ne se trouvant plus sur une propriété privée, mais sur un rivage public, aurait besoin d’être récupéré en tout ou en partie, et cela, à vos frais.
Et si on abandonne le tout, si on laisse la mer gagner le combat, le château Dubuc, qui fut longtemps un objet de fierté pour la communauté de Chandler, risque de devenir un objet de déshonneur, et ce, tant pour les Gaspésiens que pour les Québécois soucieux de leur histoire et de leur patrimoine. Et quel impact pour notre image sur le plan touristique !
Si rien n’est fait, cette épave patrimoniale deviendrait malheureusement une attraction pour les touristes qui viendraient la photographier en souvenir d’un symbole peu glorieux, soit le manque de volonté des autorités publiques en matière de patrimoine. Cela jetterait un discrédit sur ces pouvoirs publics qui n’ont pas su intervenir quand il était encore temps de le faire. Vous vous devez donc d’agir maintenant, Madame la Ministre !