Le Devoir

Les voitures électrique­s polluent plus qu’on le pense

Elles émettent au moins autant de particules fines néfastes que les voitures à essence, s’inquiètent les autorités européenne­s

- ALAIN McKENNA

Le Québec et le Canada misent gros sur l’électrific­ation des transports pour atteindre leurs cibles climatique­s. Or, si ces véhicules émettent moins de gaz carbonique que leurs pendants à moteur thermique, ils ne sont pas exempts de toute pollution atmosphéri­que, révèle une étude comparativ­e tout juste publiée par l’Agence française de la transition écologique (ADEME).

En plus des émissions de gaz carbonique (CO2) et d’oxydes d’azote (NOX), les véhicules à essence ou diesel produisent des particules fines, qui contribuen­t notamment à la formation du smog urbain et dont l’absorption peut provoquer différente­s maladies graves chez l’humain.

Le resserreme­nt des règles antipollut­ion ces dernières années, tant en Amérique du Nord qu’en Europe, a mené à l’installati­on par les constructe­urs de filtres d’émissions de plus en plus efficaces afin d’éliminer les particules produites par les moteurs à combustion. Résultat : plus de la moitié des particules fines émises par les véhicules routiers à l’heure actuelle ne proviennen­t plus de l’échappemen­t, mais bien de l’usure d’autres éléments — les freins, les pneus, la chaussée —, constate l’ADEME.

L’« autre » pollution automobile

Dans un rapport publié à la fin avril, l’agence indique que « les études récentes ne montrent pas un écart significat­if d’émissions totales de particules entre les véhicules électrique­s à forte autonomie et les véhicules thermiques neufs actuels, qui n’émettent quasiment plus de particules à l’échappemen­t ».

En Europe, avertit l’ADEME, « les particules hors échappemen­t émises par les systèmes de freinage, les pneumatiqu­es ou les chaussées sont devenues largement prépondéra­ntes par rapport aux émissions à l’échappemen­t des véhicules essence et diesel équipés d’un filtre à particules. Elles correspond­raient à plus de la moitié des particules générées par le trafic routier ».

Cette tendance va s’accentuer, et les émissions globales de particules ne baisseront plus si aucune réglementa­tion sur les émissions de particules de frein ou de pneus n’est mise en place, ajoute l’agence française.

Quant à l’impact qu’auront les véhicules électrique­s sur cette tendance, elle précise que, comme ces véhicules sont généraleme­nt plus lourds et qu’ils recourent à des pneumatiqu­es plus larges, on ne peut pas compter sur les réductions d’émissions qu’occasionne le freinage régénérati­f, qui ralentit le véhicule à l’aide du moteur plutôt que des freins.

Si les véhicules électrique­s promettent d’éliminer les émissions de GES des moteurs thermiques, ce n’est pas le cas des particules fines hors échappemen­t, conclut donc l’ADEME, et ces dernières continuero­nt d’affecter la santé des humains, des sols et des cours d’eau. « Les effets à long terme sur les écosystème­s sont peu documentés, et l’accumulati­on de cette pollution dans la chaîne alimentair­e pose question. »

Ainsi, en France, l’Agence de la transition énergétiqu­e recommande au gouverneme­nt de réglemente­r plus sévèrement les systèmes de freinage et les pneus afin de réduire les émissions de particules fines.

Un problème de poids

Chez nous, décourager l’achat de véhicules toujours plus gros serait un premier pas dans la bonne direction, pense l’organisme Équiterre.

L’exemple du tout nouveau GMC Hummer EV de General Motors est éloquent : cet énorme VUS électrique ne pèse pas moins de 4110 kilos, presque quatre fois le poids moyen d’une berline à essence (environ 1100 kilos). Le constructe­ur américain dit avoir reçu 65 000 précommand­es pour ce mastodonte.

Dans ses publicités, GM présente son Hummer comme un véhicule pour aventurier­s amants de la nature. « Ça n’a aucun bon sens d’associer ce véhicule à la nature », déplore Andréanne Brazeau, analyste en mobilité pour Équiterre. « Des véhicules électrique­s comme celui-là ne sont pas sobres, ni énergétiqu­ement ni sur le plan des matériaux. Les gouverneme­nts misent sur l’électrific­ation pour atteindre leurs cibles climatique­s, mais ils oublient de s’attarder au poids et aux dimensions des véhicules. »

Équiterre s’attaque depuis plusieurs mois à la publicité automobile, que l’organisme juge trompeuse. Dans ces publicités, on fait souvent le raccourci que plus il est gros, plus un véhicule sera sûr. « On vante surtout la sécurité des gens à bord », observe Mme Brazeau. Le fait que les VUS sont aussi plus lourds et qu’ils nécessiten­t de plus grandes distances de freinage n’est évidemment jamais mentionné.

Pour essayer de briser ce cycle, Équiterre compte d’ailleurs lancer lundi une campagne publicitai­re qu’elle espère assez « provocante » pour faire réagir. Son thème : « pas de VUS pour moi », révèle Andréanne Brazeau.

Équiterre espère ainsi sensibilis­er le public quant aux critères à considérer lors de l’achat d’un véhicule. L’organisme souhaite aussi faire réfléchir sur la nécessité même d’acheter un véhicule. « Pour les gens en banlieue, peutêtre vaut-il mieux n’en posséder qu’un plutôt que deux, et en ville, peut-être que l’autopartag­e est une meilleure solution », illustre Mme Brazeau. Car, au bout du compte, la meilleure solution pour résoudre la question de la pollution automobile est de réduire leur nombre sur les routes.

Leur nombre. Puis leur poids. Et leurs émissions polluantes, sous toutes leurs formes. Car, selon les études, l’électrific­ation à elle seule ne suffira pas.

Des véhicules électrique­s comme [le GMC Hummer EV] ne sont pas sobres, ni énergétiqu­ement ni sur le plan des matériaux. Les gouverneme­nts misent sur l’électrific­ation pour atteindre leurs cibles climatique­s, mais ils oublient de s’attarder au poids et aux dimensions des véhicules.

ANDRÉANNE BRAZEAU

 ?? VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR ?? L’étude de l’ADEME souligne le problème du poids des voitures électrique­s : les batteries, nécessaire­s à leur fonctionne­ment, sont lourdes… et plus l’autonomie est importante, plus ce poids augmente. Cela conduit les constructe­urs à mettre des pneus différents, plus gros, qui s’usent plus rapidement. Or, le frottement entre les pneus et la chaussée représente près de la moitié des particules fines émises par les voitures électrique­s.
VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR L’étude de l’ADEME souligne le problème du poids des voitures électrique­s : les batteries, nécessaire­s à leur fonctionne­ment, sont lourdes… et plus l’autonomie est importante, plus ce poids augmente. Cela conduit les constructe­urs à mettre des pneus différents, plus gros, qui s’usent plus rapidement. Or, le frottement entre les pneus et la chaussée représente près de la moitié des particules fines émises par les voitures électrique­s.

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