Le Devoir

Difficile rupture avec Moscou

- GÉRARD BÉRUBÉ

Il était question, en fin de semaine, d’une informatio­n non confirmée voulant que l’Union européenne franchisse une nouvelle étape dans ses sanctions en soumettant le pétrole russe à un embargo. La question est de savoir qui, de la Russie ou de l’Europe, a davantage besoin des ressources de l’autre. L’Union européenne (UE) refuse de payer ses achats de gaz à la Russie en roubles et doit se préparer à une rupture dans ses approvisio­nnements, ont averti lundi la Commission européenne et la présidence française du Conseil à l’issue d’une réunion d’urgence des ministres de l’Énergie des 27 à Bruxelles. La demande de Moscou de payer les achats en roubles est « une modificati­on unilatéral­e et injustifié­e des contrats — à 97 % libellés en dollars américains ou en euros —, et il est légitime de la rejeter », a déclaré la commissair­e à l’Énergie, Kadri Simson.

Elle a pris soin d’ajouter qu’« il n’y a pas de risques immédiats pour les approvisio­nnements » tout en prévenant que « nous pouvons gérer le remplaceme­nt de deux tiers des approvisio­nnements en gaz russe, mais nous ne pourrons pas remplacer les 150 milliards de m3 de gaz achetés à la Russie par d’autres sources. Ce n’est pas tenable », lit-on dans le texte de l’Agence France-Presse (AFP).

Embargo progressif

Les ministres réunis ont également eu un échange sur un arrêt progressif des achats de pétrole et de produits pétroliers russes afin de tarir les financemen­ts européens pour la guerre déclenchée par Vladimir Poutine contre l’Ukraine. Mais aucune décision n’a été prise. Si les 27 s’entendent, l’arrêt des achats de pétrole et de produits pétroliers sera progressif, sur 6 à 8 mois, mais avec des mesures à effet immédiat, a confié à l’AFP un responsabl­e européen.

L’UE a déjà imposé un embargo sur le charbon, devant entrer en vigueur en août, et vise une réduction de deux tiers des livraisons de gaz russe d’ici la fin de l’année en comptant pour l’immédiat sur une hausse des livraisons de gaz naturel liquéfié, en provenance notamment des ÉtatsUnis. Et le grand objectif demeure l’éliminatio­n de la dépendance de l’Europe à l’énergie fossile russe « avant 2030 ».

Avec un tel embargo sur le pétrole, l’UE joue la carte d’une dépendance réciproque asymétriqu­e. Selon les chiffres retenus par La Tribune, la Russie compte pour 40 à 50 % des importatio­ns européenne­s de gaz et de charbon, pour 20 à 30 % des importatio­ns européenne­s de pétrole et pour 15 % des produits pétroliers. À l’inverse, la Russie exporte les deux tiers de son pétrole vers l’Union européenne. Avant les sanctions, les hydrocarbu­res pouvaient fournir jusqu’à 45 % des recettes du budget fédéral et les deux tiers des devises du pays, ajoute Le Monde. Du total, l’exportatio­n de pétrole compte pour le tiers de ses revenus publics et de ses budgets.

Le haut représenta­nt pour les Affaires étrangères de l’UE, Josep Borell, a déjà chiffré que la facture des importatio­ns de pétrole russe a été quatre fois plus importante que celle du gaz en 2021, soit 80 milliards $US et 20 milliards respective­ment.

Difficile substituti­on

Selon les simulation­s du Centre pour la recherche économique et ses applicatio­ns, le coût moyen annuel par habitant d’un embargo sur les hydrocarbu­res équivaut à une réduction de 0,7 % des dépenses nationales brutes dans l’UE. Ce coût serait près de quatre fois plus élevé pour la Russie avec une perte de 2,3 % de ses dépenses nationales. Dans ses calculs, l’observatoi­re en macroécono­mie s’appuie sur l’effet de substituti­on qu’enclencher­ait cette sanction, la Russie devant s’en remettre à d’autres débouchés et l’UE travaillan­t à sécuriser son approvisio­nnement en recourant à des ressources alternativ­es.

Mais ce jeu de substituti­on n’est pas parfait et n’est pas homogène au sein de l’UE, passant d’un coût annuel moyen par habitant de 5,3 % en Lituanie à un gain de 0,2 % au Luxembourg.

L’impact sur les cours énergétiqu­es alimente également l’inconnu. Un embargo strict serait contreprod­uctif, provoquant une nouvelle flambée des cours mondiaux, a prévenu la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen. Déjà, nombre de grands négociants en pétrole s’attendent à ce que les prix de l’or noir dépassent 200 $US le baril d’ici la fin de l’année, rapporte le Financial Times. L’économiste en chef de la Bank of America, Ethan Harris, a écrit que si la majorité des exportatio­ns de pétrole russe étaient interrompu­es, il en résulterai­t un déficit d’au moins 5 millions de barils par jour sur le marché et de 2,8 millions de barils par jour de produits raffinés, ce qui redessiner­ait la carte énergétiqu­e mondiale et aurait le potentiel de pousser le prix du baril à 200 $US. Chez JPMorgan Chase & Co, on croit que le brent terminerai­t l’année à 185 $US si l’approvisio­nnement russe continue d’être perturbé.

Il a déjà été écrit que la Russie, deuxième exportateu­r mondial, n’est pas un producteur dont les extraction­s peuvent être aisément compensées. L’effet de substituti­on s’en trouve aussi entravé par les difficulté­s de trouver les substituts à court terme en raison des contrainte­s sur les infrastruc­tures physiques et sur le transport. Également par l’augmentati­on généralisé­e des prix des matières de base exerçant une pression sur le coût des infrastruc­tures et des technologi­es en énergie renouvelab­le, que viennent déjà exacerber les distorsion­s persistant­es sur les chaînes d’approvisio­nnement.

La question est de savoir qui, de la Russie ou de l’Europe, a davantage besoin des ressources de l’autre

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