Le Devoir

Dans l’ombre, mais tenace, le mouvement anti-choix au Canada

- VIOLETTE CANTIN LE DEVOIR

Centres de grossesse et candidats antichoix, cliniques d’avortement sans financemen­t : s’il n’a pas investi le milieu politique de manière aussi tranchée qu’aux États-Unis, le mouvement antiavorte­ment demeure bien présent au Canada et au Québec. Tour d’horizon d’une idéologie qui oeuvre dans l’ombre, mais qui a certains impacts bien réels sur la vie des Canadienne­s.

Au Nouveau-Brunswick, les avortement­s sont payés par le gouverneme­nt uniquement s’ils ont été effectués dans un hôpital. Cette politique, la seule de la sorte au pays, a mené à la fermeture de la dernière clinique d’avortement de la province en 2020, laissant aux femmes uniquement trois hôpitaux où se diriger pour obtenir une interrupti­on de grossesse.

« Dans les endroits au Canada où les accès à l’avortement ont été réduits, c’est en partie à cause de la réticence de certains élus ou de leurs opinions anti-choix », soutient la directrice générale de la Coalition pour le droit à l’avortement au Canada, Joyce Arthur.

Jointe à Vancouver, elle ne croit pas que le droit à l’avortement au Canada soit menacé comme aux États-Unis. Mais selon Mme Arthur, le mouvement anti-avortement au Canada « peut causer beaucoup de dommages par la stigmatisa­tion et à la mésinforma­tion, et peut créer une atmosphère de silence autour de l’avortement ».

Bien que de manière moins radicale qu’aux États-Unis, cette idéologie s’invite également en politique. Selon une recension effectuée en octobre 2021 par la Coalition pour le droit à l’avortement au Canada, 74 % du caucus du Parti conservate­ur du Canada (PCC)

C’est une bonne chose que les conservate­urs aient peur de parler de cet enjeu, puisque ça démontre la force de nos politiques pro-choix JOYCE ARTHUR

est opposé à l’avortement. Et des 159 députés du Parti libéral, cinq seraient anti-choix ou auraient exprimé des positions en ce sens par le passé.

La direction du PCC a d’ailleurs envoyé une note à ses députés mardi pour les sommer de ne pas commenter la fuite du document de la Cour suprême américaine, alors que le parti est en pleine course à la chefferie. Seule femme en lice parmi les six aspirants, Leslyn Lewis est aussi la seule candidate ouvertemen­t anti-choix. « D’une certaine manière, c’est une bonne chose que les conservate­urs aient peur de parler de cet enjeu, puisque ça démontre la force de nos politiques pro-choix », croit Joyce Arthur.

Elle note tout de même l’implicatio­n de certains groupes anti-avortement dans la course à la chefferie, dont l’un des plus importants au pays, Campaign Life Coalition, a offert son soutien à Leslyn Lewis. Mme Arthur affirme que ces groupes se mobilisent en faveur de candidats antichoix et en retour, « ils s’attendent à ce que ceux-ci agissent [pour restreindr­e le droit à l’avortement] ». Elle déplore que de tels groupes auraient notamment contribué à l’élection d’Andrew Scheer et d’Erin O’Toole à la tête du PCC, ainsi qu’à celle de Doug Ford comme premier ministre de l’Ontario.

Lors de la dernière campagne électorale, le premier ministre Justin Trudeau avait promis de réglemente­r l’accès aux services d’avortement en vertu de la Loi canadienne sur la santé. Une promesse qui n’a toujours pas été mise en oeuvre.

Le Québec pas en reste

En février dernier, le chef du Parti conservate­ur du Québec, Éric Duhaime, a présenté un candidat anti-avortement pourr les prochaines élections provincial­es, le D Roy Eappen. Ce dernier a affirmé qu’il ne souhaitait pas légiférer sur la question, mais plutôt parler aux gens pour « changer leur opinion ».

Le mouvement anti-avortement au Québec est également présent dans des centres de grossesse anti-choix qui, sous des dehors neutres, dissuadent les femmes qui les consultent d’avoir recours à l’avortement. Selon la Fédération du Québec pour le planning des naissances, il y en aurait entre 15 et 30 en activité sur le territoire.

En février, une enquête d’Urbania révélait que deux députés caquistes avaient financé de tels centres. La ministre de la Condition féminine, Isabelle Charest, avait alors invoqué une « erreur de bonne foi » pour justifier ce financemen­t.

Une preuve, selon la directrice de l’organisme pro-choix montréalai­s Grossesse-Secours, Josiane Robert, qu’« on n’est pas à l’abri de ça ». Pour elle, le combat est loin d’être gagné : « Il faut continuer à mentionner que l’avortement est un droit fondamenta­l, légal et sécuritair­e ».

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