Le Devoir

À six, une course conservatr­ice un peu plus corsée

- MARIE VASTEL CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA

Avec six candidats officielle­ment dans la course à la chefferie conservatr­ice, Pierre Poilievre peut vraisembla­blement renoncer à l’espoir que nourrissai­t son équipe de l’emporter au premier tour. La tâche vient de se compliquer quelque peu. Mais le meneur pourrait en revanche profiter du profil présenté par ces aspirants chefs, la compositio­n du groupe lui offrant un bon potentiel de croissance au fil des tours de scrutin. Ce qui complexifi­era la tâche de Jean Charest, qui faisait déjà face à un coriace adversaire.

Le Parti conservate­ur du Canada a certifié lundi les noms des candidats qui figureront sur les bulletins de vote de son scrutin de septembre. Le groupe est équitablem­ent réparti en deux camps : Jean Charest, Patrick Brown et Scott Aitchison s’inscrivent dans la frange progressis­te-conservatr­ice du mouvement, tandis que Pierre Poilievre, Leslyn Lewis et Roman Baber courtisent les partisans de la « liberté » (face au gouverneme­nt, contre l’avortement ou la vaccinatio­n).

Forte de ses rassemblem­ents attirant des centaines de partisans, l’équipe Poilievre laissait entendre que son candidat avait tant le vent dans les voiles qu’il pourrait remporter plus de 50 % d’appuis dès le premier tour. Or, même avec seulement quatre candidats en lice en 2020, aucun d’entre eux n’avait dépassé d’emblée ce seuil, rappelle l’ex-stratège Melanie Paradis, qui a codirigé la campagne victorieus­e d’Erin O’Toole à l’époque. Et même : Peter MacKay, qui avait récolté 30 % au premier tour, s’est ensuite fait doubler lors du dépouillem­ent des tours subséquent­s.

Il y a deux ans, toutefois, M. MacKay était seul dans le camp progressis­teconserva­teur et affrontait trois candidats plus au centre droit. Cette fois-ci, le meneur, Pierre Poilievre, pourra compter sur l’appui des partisans de Roman Baber et de Leslyn Lewis, qui risquent de l’inscrire pour la plupart comme deuxième ou troisième choix sur leurs bulletins préférenti­els. « Lorsque l’on regarde le spectre des candidats, il y a une marge de croissance pour M. Poilievre », observe Rodolphe Husny, qui a été conseiller politique auprès du gouverneme­nt de Stephen Harper.

Là où la situation sera plus délicate pour Pierre Poilievre, c’est qu’il lui faudra tout de même courtiser ces appuis de second choix. Car tous ces votes comptent dans une course serrée, se souvient Melanie Paradis. « Cela vous enlève de la flexibilit­é. Il faut toujours avoir en tête ces appuis possibles et faire attention de ne pas aliéner les franges de la coalition de votes que vous courtisez chez vos opposants », explique-t-elle.

Une prudence qui pourrait paraître contre-intuitive chez un candidat qui se targue de dire tout haut ce qu’il pense et ce que les autres n’osent avancer.

Heureuseme­nt pour lui, la popularité de Leslyn Lewis viendra lui simplifier la tâche. La candidate de la frange sociale du parti a récolté l’appui de 60 000 membres avant d’être éliminée en 2020. Et bien que l’organisme anti-avortement Campaign Life Coalition recommande­ra à ses membres de n’inscrire aucun autre candidat sur leur bulletin de vote postal, le groupe Right Now le fera. Et M. Poilievre figurera fort probableme­nt devant Jean Charest ou Patrick Brown.

Un défi de plus pour Charest

Ces dizaines de milliers de votes de la droite religieuse pourraient faire gagner Pierre Poilievre, comme ils l’ont fait pour Andrew Scheer et Erin O’Toole en 2017 et 2020. « C’est ce qui rend la tâche statistiqu­ement très difficile pour les autres candidats », explique l’ex-stratège Yan Plante.

Le camp Charest misait en outre sur les débats, qui se mettront en branle cette semaine, pour permettre à l’ancien premier ministre du Québec de s’illustrer. Mais avec une course à six, le temps de glace sera limité, tout comme les occasions de s’en prendre directemen­t à son principal rival, Pierre Poilievre. « C’est un désavantag­e pour lui, observe Yan Plante. Les débats risquent de devenir des infopubs. Cela ne mène pas à des échanges de fond qui permettent de mettre le meneur sur la défensive. »

Les aspirants chefs s’affrontero­nt jeudi à Ottawa, le 11 mai à Edmonton, le 25 mai à Laval, puis le 30 mai devant un groupe de médias de droite chapeauté par True North.

Ce sera l’occasion de voir dans quels camps chacun espère décrocher des appuis. Pierre Poilievre, qui caracole en tête des sondages et qui a récolté le plus de dons lors du premier trimestre de 2022, sera sans doute la cible de la majorité de ses adversaire­s. Mais la retenue des candidats face à certains autres en dira aussi long sur leurs espoirs de croissance.

À ce chapitre, les yeux doux ont déjà commencé. Pierre Poilievre a plus d’une fois salué la candidatur­e de Mme Lewis. Cette dernière et Patrick Brown ont déploré que deux candidats pro-vie n’aient pas réussi à se qualifier pour figurer sur la liste finale d’aspirants chefs.

Et ce sont ces mêmes stratégies qui expliquent la timidité des quatre principaux candidats à commenter mardi l’ébauche de décision de la Cour suprême des États-Unis sur l’arrêt Roe v. Wade. Seul Jean Charest s’était proclamé publiqueme­nt pro-choix sur Twitter, en fin de journée, en soutenant qu’un gouverneme­nt sous sa direction n’appuierait pas de projets de loi sur la question, mais permettrai­t à ses députés d’en déposer.

La position de Pierre Poilievre est semblable, mais n’a été communiqué­e par son équipe qu’à la suite de demandes insistante­s. Patrick Brown n’a exposé sa position que par déclaratio­n écrite aux médias qui se sont adressés à lui, en affirmant que les avortement­s devraient être « sécuritair­es, légaux, mais à [son] avis rares ». Leslyn Lewis — qui s’oppose à l’avortement — s’est abstenue de commenter « puisque ce n’est pas une décision finale ».

Des réactions qui suggèrent qu’outre Jean Charest, les candidats qui ont une chance de l’emporter voient chez les conservate­urs favorables à Mme Lewis leur meilleure chance d’y arriver. Les prochaines semaines et les prochains mois révéleront si les différente­s équipes de campagne ajusteront la clientèle conservatr­ice qu’elles courtisent.

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