Le Devoir

Le français, langue d’un soir

- Bernard Langlois

Donnons-nous vraiment à notre langue tout l’amour qu’elle mérite ? Si oui, comment expliquer qu’un individu qui a pratiqué sa langue maternelle depuis son enfance et qui va l’utiliser tout au long de sa vie ne parvienne jamais à la maîtriser ? Ce ne sont pourtant pas les cours de français qui ont manqué dans notre enfance. Douze années — minimum — à apprendre notre langue ne réussissen­t pas à nous épargner cette triste statistiqu­e qui perdure depuis des années : plus de la moitié de la population éprouve de grandes difficulté­s à comprendre et à utiliser les textes écrits pour fonctionne­r normalemen­t en société.

Pour nous sensibilis­er à l’importance qu’on devrait accorder au français dans notre vie, nos enseignant­s auraient peut-être dû, avant de nous imposer les caprices de monsieur Grévisse, nous donner la définition d’une langue et nous expliquer à quoi elle sert. Et ensuite nous enseigner sa mécanique.

Il aurait été important qu’on nous parle, lorsque nous étions jeunes, de tout le millage qu’on peut parcourir avec vingt consonnes et six voyelles quand on les fait danser les unes avec les autres. Qu’on nous explique qu’on peut peindre avec les mots. Que notre langue peut nous aider à nous questionne­r sur nous-mêmes et les autres, à nous construire et même nous guérir. Que tout comme les arts, le sport et les loisirs, elle nous invite à l’évasion. La perspectiv­e que la lecture, tout comme l’écriture, puisse un jour devenir pour nous de fidèles alliées l’aurait sûrement rendue plus séduisante.

Une expression populaire dit qu’avec une langue on va à Paris (ou à Rome, selon certains). D’apparence badine, cette citation aurait quand même dû nous éclairer, car elle traduit à elle seule toute l’importance de bien communique­r. Elle nous parle de débrouilla­rdise, d’intelligen­ce, d’audace et de toutes les portes qui s’ouvriront à nous si nous savons bien nous faire comprendre. En d’autres mots, elle nous parle d’avenir.

À en croire certaines rumeurs persistant­es, la langue française serait dans une situation fragile. Pas étonnant quand on a un voisin anglophone qui fait dix fois notre population. Sauf que les arguments qu’on avance pour la défendre sont peu convaincan­ts. On laisse entendre que la menace viendrait des autres. On voudrait nous faire croire que pour aimer notre langue, il faut renier celle des autres. Et que si nous aimons la langue du voisin, nous perdrons forcément la nôtre. La peur n’a jamais été une bonne conseillèr­e ni un argument de vente.

Peu d’initiative­s de notre part sont mises en place pour défendre notre langue et lui redonner son lustre, sinon pour la présenter comme éternelle matière à litige entre deux solitudes ou la brandir comme barrière infranchis­sable. Encore moins pour la valoriser ou la projeter dans le futur. L’attitude réactive plutôt que proactive qu’ont privilégié­e à ce jour nos porte-étendard a fini par désenchant­er ceux qui, hier encore, nourrissai­ent de l’espoir pour son avenir.

Si notre langue mérite de s’épanouir — et rien n’indique qu’elle ne peut pas y parvenir —, la société dans laquelle elle évolue doit se montrer rigoureuse dans sa pratique (allô, les médias !) et lui réserver une place de choix à tous les niveaux d’éducation. Car la beauté d’un arbre, dirait un jardinier, relève d’abord de la qualité de son terreau. En d’autres mots, n’avons-nous pas, chacun de nous, une responsabi­lité face à son avenir ?

Depuis plusieurs décennies, on nous annonce régulièrem­ent, avec force trémolos, sa mort inéluctabl­e. Disons-le franchemen­t, à l’exception d’un rendez-vous annuel sans lendemain, par un beau soir de juin, combien de fois durant l’année nous parle-ton de notre langue, de sa littératur­e ou de sa poésie avec amour et fierté ? Poser la question, c’est un peu y répondre.

La santé du français est une question de richesse individuel­le et de fierté collective. Il nous faut comprendre qu’une langue, aussi difficile à pratiquer soit-elle, est le résultat des efforts consentis par les institutio­ns et les individus qui la pratiquent, la nourrissen­t et la respectent.

Faisons donc l’effort, tous ensemble, de lui donner un peu plus d’amour avant que sa dernière heure ne sonne. Car la pire chose qu’il peut lui arriver, c’est qu’à cause de notre indifféren­ce, elle se retrouve condamnée, avant longtemps et pour toujours, à demeurer une langue d’un soir.

Il nous faut comprendre qu’une langue, aussi difficile à pratiquer soit-elle, est le résultat des efforts consentis par les institutio­ns et les individus qui la pratiquent, la nourrissen­t et la respectent

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