Joël Bégin remporte les honneurs avec Plessis
Plessis, premier roman de Joël Bégin, est né d’une anecdote historique qui pourrait sembler banale à quiconque ne dispose pas d’une imagination débridée : Maurice Duplessis, dit « le chef », ancien premier ministre du Québec, père de la Grande Noirceur, antisyndicaliste et anticommuniste notoire, est décédé, terrassé par une hémorragie cérébrale, dans une maison de bois grossièrement équarrie sur les bords du lac Knob, à Schefferville.
« Je ne sais pas pourquoi, j’étais fasciné par le fait que Duplessis soit décédé dans cette ville minière, qui a été un fleuron économique avant de pratiquement disparaître, indique l’auteur. Peutêtre que c’est parce que je viens de Trois-Rivières, et que la figure de l’homme surplombe l’histoire de la ville. Bref, je me suis mis à lire sur lui et les autres personnages politiques de l’époque, et je trouvais partout des bouts d’histoire, des rumeurs à exploiter. »
L’écrivain — aussi enseignant de philosophie au cégep de Trois-Rivières — entame son écriture en 2017, dans cette ère trumpiste particulièrement féconde en fausses nouvelles et en magouilles politiques. Il est naturel, donc, que Joël Bégin se soit spontanément mis à imaginer une douzaine de théories du complot, plus farfelues les unes que les autres, autour de la mort du vieux chef.
Le produit final — un récit noir et complètement éclaté sur une Grande Noirceur à l’agonie — a séduit le jury du prix Robert-Cliche, attribué à l’auteur d’un premier roman. « Une envergure vertigineuse, une écriture inventive et maîtrisée, une recréation forte de la société et de l’histoire », précise l’écrivaine Monique Proulx, qui lui a décerné la palme en compagnie de Camille Toffoli et de Samuel Archibald.
L’araignée Duplessis
Paul-Émile Gingras, jeune policier trifluvien peu dégourdi et un tantinet pathétique, se voit confier la tâche de faire la lumière sur l’attaque qui a plongé monsieur Duplessis dans le coma. Quelque chose de louche se trame à Schefferville. C’est son grand-oncle Jos-D., ministre de la Colonisation, qui lui demande de démêler le vrai du faux. En compagnie de son ami, le journaliste Gérald (Gégé) Godin, le jeune détective prend la route de la CôteNord, plongé malgré lui dans la toile d’une araignée affamée, connectée à tous les lieux de pouvoir de la province.
Grâce à ce personnage un peu niais, qui doit tout se faire expliquer, l’auteur peut jouer ses cartes de manière à ce que le lecteur ne perde jamais le nord dans cette ruche foisonnante de personnages, d’intrigues et de faits historiques.
Ils sont tous là. Daniel Johnson, Paul Sauvé, Maurice Custeau, William Cottingham, John Bourque, Camille Pouliot et Antonio Talbot. Les évêques, les journalistes, les avocats et les chefs de police. Tous un peu complices, tous un peu emmêlés dans les mailles du filet, tous contraints par la force ou l’avidité de dissimuler, de semer les demimensonges et les informations contradictoires au gré du vent.
Toutes ces trouvailles rocambolesques s’assemblent dans une spirale étourdissante dans laquelle on se laisse entraîner, victimes d’un envoûtement qui n’est pas sans rappeler celui qui happe les adeptes des bas-fonds de la Toile conspirationniste.
Tel un marionnettiste hyperactif, l’auteur louvoie entre les genres et les époques, passe de la farce à la fresque historique, du drame familial à l’enquête policière, du picaresque au réalisme, pour former un univers décalé, fourmillant de motifs et de références, mais solide et linéaire.
Bien que Joël Bégin ne soit pas tendre envers Maurice Duplessis, son copinage et son héritage, il lui donne l’occasion, à la toute fin du roman, de plonger au fond de sa conscience et de faire le point sur ses actions, ses désirs et ses motivations politiques. « De nos jours, il est un mythe plus qu’un homme. Je pense que de le rapprocher de nous permet d’apprécier un peu plus les avancées démocratiques et le système politique que nous avons construits depuis, et qui sont souvent mal-aimés. »