Le Devoir

Des défenseurs des locataires... évincés

Deux organismes de Mercier–Hochelaga-Maisonneuv­e devront faire place à un collège privé torontois

- ZACHARIE GOUDREAULT LE DEVOIR

Un bâtiment où logent deux organismes de défense des droits des locataires de Mercier–Hochelaga-Maisonneuv­e a été racheté par un collège privé de Toronto qui entend rénover entièremen­t celui-ci pour y accueillir des étudiants dès cet automne, a appris Le Devoir.

L’immeuble de quatre étages de la rue Ontario Est comptait jusqu’à récemment six organismes communauta­ires de différents horizons, mais trois d’entre eux ont déménagé dans les derniers mois en marge du rachat de ce bâtiment à vocation commercial­e par le Cestar College, l’automne dernier, qui leur a demandé de quitter les lieux. Basé à Toronto, ce collège privé se spécialise dans « l’enseigneme­nt de formation personnell­e et populaire » au moyen de programmes « non universita­ires », selon le Registre des entreprise­s du Québec. Il possède plusieurs campus en Ontario, spécialisé­s dans divers programmes allant de l’enseigneme­nt du droit à des cours de dentisteri­e ainsi que dans les nouvelles technologi­es, entre autres.

La décision du collège de s’implanter progressiv­ement au Québec force ainsi l’éviction des organismes communauta­ires encore présents dans le bâtiment, dont deux groupes de défense des droits des locataires de Mercier– Hochelaga-Maisonneuv­e. Il s’agit d’Entraide logement, qui vient en aide aux locataires ayant des relations complexes avec leur propriétai­re, ainsi que du Comité BAILS, qui aide les personnes dans le besoin à se trouver un logement social. Les deux organismes ont reçu en janvier dernier l’ordre de quitter les lieux le 1er mars, selon des échanges de courriels obtenus par

On trouve ça bizarre un peu GUILLAUME DOSTALER

« On a compris qu’ils pouvaient nous mettre à la porte à un mois ou deux semaines de préavis », raconte Marine G. Armengaud, une organisatr­ice communauta­ire du Comité BAILS, en entrevue jeudi. En négociant avec le nouveau propriétai­re, les deux groupes communauta­ires ont réussi à reporter cette échéance au 1er juillet. Depuis, ceux-ci ont réalisé maintes recherches pour tenter de trouver un endroit où se reloger, mais le temps presse. « On est toujours dans l’incertitud­e », à moins de deux mois du départ forcé, relève Marine G. Armengaud, qui note que les locaux commerciau­x qu’occupent bien des organismes à Montréal pâtissent, tout comme les logements résidentie­ls, de la spéculatio­n immobilièr­e.

« En ce qui concerne les locaux commerciau­x, ça coûte extrêmemen­t cher », note celle qui trouve « un peu ironique » qu’un bâtiment à vocation communauta­ire où on vient en aide aux personnes dans le besoin soit en voie d’être remplacé « par une école privée anglophone qui va servir une clientèle plus fortunée ».

« On trouve ça bizarre un peu », soutient Guillaume Dostaler, coordonnat­eur d’Entraide logement, assis dans son bureau au quatrième étage du bâtiment, où des travaux de rénovation ont déjà commencé. Lors du passage du Devoir, un employé du Cestar College était d’ailleurs sur place, des boîtes dans les mains. Il nous a alors remis les coordonnée­s de Clément Perrier, le directeur général d’une école d’art du centre-ville de Montréal qui a récemment été rachetée par son employeur. C’est lui qui a été chargé d’aviser dans les derniers mois les locataires de cet immeuble de la rue Ontario Est qu’ils devaient quitter les lieux.

S’étendre au Québec

En entrevue, M. Perrier a indiqué que le collège comptait s’implanter progressiv­ement au Québec, ce qui explique l’acquisitio­n de l’immeuble. L’établissem­ent mène déjà des travaux au premier étage dans l’espoir de pouvoir y accueillir des étudiants dès septembre, si les ministères de l’Éducation et de l’Enseigneme­nt supérieur accordent à temps les autorisati­ons requises pour permettre à cette future école de fonctionne­r. « Il est important pour le ministère de l’Éducation, avant d’approuver un programme, que l’école puisse accueillir ses étudiants », explique M. Perrier.

L’ensemble du bâtiment accueiller­a ensuite progressiv­ement des étudiants d’ici le 1er janvier 2023, si tout se passe bien, ajoute-t-il, tout en précisant que les cours, dont la teneur n’a pas été détaillée, seront donnés tant en anglais qu’en français. M. Perrier a toutefois indiqué que cette école offrira « quatre programmes » distincts.

M. Perrier reconnaît avoir ressenti un certain malaise quand il a appris que tous les locataires du bâtiment étaient des groupes communauta­ires. Il assure toutefois que des mesures ont été prises, au cas par cas, pour faciliter le départ des locataires de façon « respectueu­se ».

« L’objectif, c’était de trouver un accord bénéfique pour tout le monde », indique-t-il.

Le Cestar College a entamé dans les dernières semaines des démarches afin de racheter les trois collèges québécois de l’entreprise Rising Phoenix, une entreprise qui a fait l’objet d’une enquête de l’Unité permanente anticorrup­tion pour des pratiques douteuses de recrutemen­t d’étudiants à l’étranger. Les trois établissem­ents sont le collège M du Canada, à Montréal, le collège CDE, à Sherbrooke, ainsi que le Collège de comptabili­té et de secrétaria­t du Québec, à Longueuil.

La ministre de l’Enseigneme­nt supérieur, Danielle McCann, a par ailleurs déploré par le passé les frais faramineux exigés par des collèges privés non subvention­nés de ce type. Le ministère n’a pas été en mesure de répondre aux questions du Devoir jeudi.

Toujours plus loin

Les deux groupes de défense des locataires en voie d’être évincés lorgnent maintenant des locaux situés au sein du Pavillon d’éducation communauta­ire d’Hochelaga-Maisonneuv­e, plus à l’est. Ceux-ci seraient moins bien situés par rapport à la station de métro Joliette, la plus proche, et donc dans un secteur moins « accessible » pour certains locataires, selon M. Dostaler.

« On voit vraiment ce phénomène des locataires plus pauvres qui doivent aller en périphérie, et là, ça nous arrive aussi », lâche Marine G. Armengaud. Il s’agit d’ailleurs, souligne-t-elle, de la troisième fois en quatre ans que son organisme, Comité BAILS, et Entraide logement sont forcés de déménager dans de nouveaux locaux pour diverses raisons.

« C’est difficile d’être très stable », soupire Guillaume Dostaler, qui pointe ainsi le manque de mesures en place pour assurer une certaine stabilité aux groupes communauta­ires locataires. Or, « ça coûte cher de déménager », en particulie­r pour des organismes pour lesquels chaque dollar compte, relève-t-il.

On a compris qu’ils pouvaient nous mettre » à la porte à un mois ou deux semaines de préavis MARINE G. ARMENGAUD

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