Le Devoir

L’hommerie

- ROBERT DUTRISAC

LQue Rénald Grondin ait pu poursuivre une si belle carrière au sein de la FTQ-Constructi­on après que son nom eut été mentionné à plusieurs reprises lors de la commission Charbonnea­u montre le peu de cas que l’important syndicat fait de la probité

e président de la FTQ, Daniel Boyer, croyait-il vraiment que l’affaire Rénald Grondin allait s’éteindre d’elle-même après la démission — il devait de toute façon prendre sa retraite à la mi-mai — de celui qui était président de la FTQ-Constructi­on depuis 2018 ? La seule présence de cet homme à des postes de direction du syndicat témoigne d’un mal profond que les révélation­s de la commission Charbonnea­u auraient dû permettre d’éradiquer.

Comme l’a rapporté La Presse la semaine dernière, Rénald Grondin a été reconnu coupable d’avoir harcelé et agressé sexuelleme­nt à répétition une secrétaire de direction pendant deux ans. C’est ce que révèle une décision de la Commission des lésions profession­nelles de 2012 qui a conduit au versement de prestation­s à la victime, qui souffrait d’anxiété et de dépression, en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies profession­nelles. Heureuseme­nt pour le syndicalis­te, aucune plainte au criminel n’a été portée contre lui.

Comme s’il ne s’était rien passé, Rénald Grondin a conservé son poste de directeur général de l’Associatio­n des manoeuvres interprovi­nciaux (AMI), une entité de la FTQ-Constructi­on. En 2018, on le récompense en l’élisant président de la FTQ-Constructi­on, qui représente 80 000 travailleu­rs, le plus imposant des cinq syndicats du secteur de la constructi­on au Québec.

Que Rénald Grondin ait pu poursuivre une si belle carrière au sein de la FTQ-Constructi­on après que son nom eut été mentionné à plusieurs reprises lors de la commission Charbonnea­u montre le peu de cas que l’important syndicat fait de la probité. Il était un proche de l’ex-directeur général de la FTQ-Constructi­on Jocelyn Dupuis, condamné à un an de prison pour avoir fraudé le syndicat, l’homme des mémorables bombances, dont les relations avec le crime organisé étaient documentée­s.

Mardi, la FTQ-Constructi­on diffusait un curieux communiqué affirmant que le syndicat avait adopté « un plan d’action afin de se doter dans les plus brefs délais de mesures contrant le harcèlemen­t psychologi­que et sexuel ». Hé bien, ça fait au moins une décennie que les organisati­ons d’envergure ont mis en oeuvre de telles mesures. Les directeurs du syndicat ont l’air de dinosaures qui fraternise­nt dans leur parc jurassique.

Soumis aux pressions du ministre du Travail, Jean Boulet, la FTQ a attendu mercredi avant d’annoncer la tenue d’une enquête indépendan­te sur les circonstan­ces et les silences qui ont permis à Rénald Grondin de se présenter et d’être élu à la présidence de la FTQ-Constructi­on. Il aura fallu l’adoption à l’unanimité d’une motion à l’Assemblée nationale pour que la centrale syndicale accepte de faire la lumière sur cette intolérabl­e situation et la « culture d’opacité » qu’elle suppose.

On peut se demander comment il se fait que l’homme ait conservé son poste de directeur général de l’AMI après avoir été reconnu coupable d’agressions sexuelles. Il faut déterminer qui savait quoi dans les cercles du syndicat. En tout cas, Me Robert Laurin, l’avocat qui représenta­it l’AMI devant la Commission des lésions profession­nelles et qui est l’avocat de la FTQ-Constructi­on, lui, savait.

Daniel Boyer a minimisé la responsabi­lité de ceux qui n’ont rien dit. « Les gens qui étaient au courant et qui ne l’ont pas dit, ce ne sont pas eux, les agresseurs », a-t-il affirmé à La Presse. Le président de la FTQ soutient qu’il était lui-même dans l’ignorance. Il y a tout lieu de croire, toutefois, que des membres de la haute direction de la FTQConstru­ction, qui côtoyaient Rénald Grondin depuis des années, savaient à qui ils avaient affaire. Une culture d’impunité et d’aveuglemen­t volontaire semble régner.

Les libéraux ont présenté une motion demandant au gouverneme­nt de modifier la loi d’ici la fin de session parlementa­ire afin de rendre inéligible à tout poste de direction ou de représenta­tion d’une organisati­on syndicale quiconque a été reconnu coupable de harcèlemen­t ou d’agression sexuelle. Même si le ministre Boulet et le premier ministre François Legault se sont montrés ouverts à l’idée, la motion n’a pas été acceptée ; il vaut mieux en effet attendre les conclusion­s de l’enquête avant de légiférer.

La FTQ-Constructi­on jouit d’un énorme privilège, l’appartenan­ce à un syndicat et le versement à celui-ci de cotisation­s étant obligatoir­es pour travailler dans le domaine. Avec ce privilège devraient venir des devoirs.

Depuis des années, on tente d’ouvrir le secteur de la constructi­on aux femmes. Or, leur progressio­n y est minime — elles ne forment qu’un peu plus de 2 % de la main-d’oeuvre — et le taux d’abandon est élevé. À la FTQ-Constructi­on, avec des dirigeants comme Rénald Grondin et ses copains qui l’ont couvert et n’ont rien dit, avec ces hommes et leur hommerie, les choses ne sont pas près de changer.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada