Le Devoir

La maternité n’est pas un fait d’armes

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J’ai toujours pensé que les mères et les grands-mères méritaient souvent une médaille de bravoure et de persévéran­ce. Or, je suis désolée de constater qu’elles demeurent si convaincue­s de devoir à elles seules porter tout le poids de la lutte contre les injustices sociales et les changement­s climatique­s. L’urgence qu’on doit ressentir face à des enjeux de la plus haute importance doit être une préoccupat­ion de tous, qu’on soit ou non jeunes, vieux, parents, grands-parents.

En juin 2020, ce fut pour moi un baume de lire un recueil de textes littéraire­s intitulé Nullipares, oeuvre d’un collectif dirigé par Claire Legendre (éditions Hamac) sur un sujet tabou : le vécu des femmes sans enfants. Il était temps. Les nullipares ne vivent pas en vase clos, centrées sur le nombril, indifféren­tes aux questions touchant la jeune génération.

Vouloir des enfants, ne pas en vouloir, ne pas pouvoir en avoir, ce n’est pas forcément un dilemme que ruminent les femmes en solo. Comme féministe de longue date, je n’ai jamais compris pourquoi des femmes militaient pour le libre choix de disposer de leur corps comme elles l’entendaien­t et le droit à l’avortement, mais pouvaient se montrer si imbues de préjugés envers des femmes sans enfants, les jugeant à tort et à travers, les excluant presque de combats sociaux visant à pallier des iniquités. N’est-ce pas paradoxal ou, du moins, illogique ?

La maternité n’est pas un fait d’armes. Et pourtant. Si l’on n’a pas d’enfants ni de petits-enfants, il semble qu’on doive constammen­t se justifier. Dans le monde binaire encore prédominan­t, la non-mère est au fond une demi-femme, mais le nonpère est homme à 100 %.

Chères consoeurs féministes, je vous exhorte à penser autrement, soit avec cohérence. Le libre choix et le droit à l’avortement sous-entendent que la femme n’aura jamais à justifier la nonprocréa­tion ou l’absence de progénitur­e, ni à raconter sa vie privée, ni à relater la fausse couche vécue comme un deuil, voire un traumatism­e, pour ne pas dire un échec cuisant dans l’indifféren­ce sociétale, ni d’exposer les ratés de la procréatio­n assistée.

En cette fête des Mères 2022, où mères et grands-mères sont conviées à manifester à Québec pour la suite du monde, pensons aussi à inclure les nullipares et les nulligeste­s, qui ne sont pas des nulles, mais qui sont, au contraire, prêtes à accompagne­r tout combat pour une justice sociale et un meilleur avenir climatique. Carol Patch-Neveu

Montréal, le 5 mai 2022

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