Mon Montrachet à moi
Je suis dans cette mouvance de décroissance qui privilégie le bien-être à l’accumulation de biens tout court, de plaisirs éphémères et d’attentes outrancières. Sans doute à l’image de bon nombre d’entre vous, pour qui le simple vin bu et apprécié n’a que faire de rumeurs, de prix, de médailles, de réputations ou autres glorieuses étiquettes pour infuser au moment présent cette saveur si particulière du temps devenu immobile par simple effet de complicité.
Une exception, voire une obsession tenace, toutefois demeure, soit celle à vouloir me saisir des 7 hectares 99 ares et 80 centiares du Montrachet pour en faire mon Montrachet à moi. À l’échelle planétaire, nul doute le phantasme le plus égoïste qui soit, mais j’assume. Ce grand cru de la Côte de Beaune est, sans le moindre millilitre d’hésitation, LE plus grand vin blanc sec ayant pignon sur vigne au monde. La consécration ultime du chardonnay.
Je souscris d’ailleurs aux propos du bon docteur M. J. Lavallé qui mentionnait déjà en 1855 que « le climat de Montrachet dont les vins méritent d’une manière si incontestable le premier rang parmi les vins blancs de la Côte-d’Or, et probablement parmi tous les vins blancs du monde, est situé en partie sur le territoire de Puligny et en partie sur celui de Chassagne ». Mais nous sommes encore là en deçà, côté explications, du véritable génie de ce que l’émérite professeur nommait, plus spécifiquement, le « Vrai-Montrachet ». Tentons une explication.
Noblesse oblige
La perspective historique incite déjà le journaliste bourguignon Jean-François Bazin à décliner le Montrachet sous les noms de « Mont Rachaz » (1252), « Mont Raschat » (1286-1287), « Mon Rachat » (1380), « Mont Rachat » (1472) et « Montrachat » (1473). Quoi qu’il en soit et malgré la toponymie plurielle du lieu, ce Mons Rachicensis cité par le moine Claude Courtépée au XVIIIe siècle n’était en somme et tout bonnement qu’une « colline non cultivée ». Pourquoi tout ce remue-ménage, alors ? Sans doute parce que ce « Mont-Chauve » situé très exactement entre 250 et 270 mètres (à l’image du Musigny et de la RomanéeConti) en bordure de plateau où affleure un calcaire dit « du Bathonien » des plus durs n’a pratiquement pas de sol arable sinon une mince couche de terre brune léguée par le climat ChevalierMontrachet situé tout juste au-dessus de lui. Poursuivons l’explication.
La Bourgogne est une effeuilleuse qui ne révèle le mystère de ses charmes qu’aux yeux, au palais et à l’intelligence de ceux dont la patience et la perspicacité sont de l’ordre des vertus cardinales. C’est bien connu. Mais cette même Bourgogne est aussi source de frustrations à ne pouvoir la saisir et la circonscrire totalement tant elle se réserve cette espèce de « noblesse dans la cachotterie », dont on ne peut qu’apprécier le dessein à défaut d’en démêler l’intrigue. Sommes-nous pour autant condamnés à ne jamais saisir totalement ce qui fait la grandeur du Montrachet ? Entêtonsnous avec d’autres explications.
Embêté, l’ingénieur agronome sera lui aussi à court d’arguments, car rien ne relie les proportions de cuivre, de nickel, de plomb, de béryllium, de chrome, de magnésium, de vanadium — alouette ! — contenues dans le vin à la singularité du cru en question. « Il n’y a que l’or qui manque ! » s’amuse à dire l’auteur Jean-François Bazin, qui avoue du coup que l’aspect géologique est lui aussi limité dans son interprétation pour en percer le mystère. Ultime explication ?
Elle nous vient une fois de plus du bon docteur Lavallé. « Dans le VraiMontrachet lui-même, on distingue la partie exposée presque directement au sud-est, située sur le territoire de Puligny, et celle dont l’inclinaison au sud est très prononcée, et qui appartient à la commune de Chassagne. C’est dans la partie inclinée seulement au sud-est que se produit dans son exquise finesse, dans toute sa divine perfection, le vin de Montrachet ». L’explication de mon Montrachet à moi ? Pour en avoir côtoyé quelques flacons en compagnie de la grande oenologue Nadine Gublin au Domaine Jacques Prieur, je ne puis que m’incliner et citer Alexandre Dumas : « Le Montrachet doit se savourer à genoux, le couvre-chef à découvert ». Les voies du Montrachet seraient-elles impénétrables ? Voilà déjà le début d’une explication !