Reconstruction sous tension dans la région de Kiev
La guerre persiste, mais des habitants s’attellent déjà aux réparations
Dans la maison de Tamara Antonuk, à Hostomel, au nord-ouest de Kiev, une dizaine de volontaires s’activent dans un ballet rapide, en entrant par la porte arrière pour ensuite ressortir avec de gros sacs remplis de débris qu’ils déposent sur le bord du chemin. Le cadavre du missile qui a partiellement détruit l’habitation jonche le sol.
Toutes les possessions de Tamara ont brûlé à l’intérieur, et il faut nettoyer. Mais la structure est encore heureusement en bon état. « Je veux sauver le premier étage et construire un nouveau toit. Cela doit être fait rapidement à cause de la pluie, qui endommage la maison encore plus », explique au Devoir la femme de 35 ans, qui paie les réparations de sa poche entre autres avec l’aide d’un emprunt. Elle estime le coût à 30 000 dollars américains. « Je ne pense pas que le gouvernement paiera », laisse-t-elle tomber.
L’aéroport de la localité de près de 17 000 habitants était la cible des forces russes au début de l’invasion, fin février. Depuis, les troupes ukrainiennes ont repris le contrôle de Hostomel, ainsi que des villes de Boutcha et d’Irpin à proximité. Il y a quelques semaines, la route était paralysée par de longues files de voitures de résidents de la région qui rentraient chez eux.
Le pays est encore en guerre, et les attaques peuvent survenir à n’importe quel moment, même si les Russes ont quitté la région fin mars. Mais cela n’empêche pas les Ukrainiens de revenir.
Pressés de reconstruire
Tamara, qui avait quitté Hostomel le 25 février, est revenue le 3 avril. Elle voulait rapidement voir l’état de sa maison. Elle s’attend à pouvoir retourner y vivre dans deux mois, tout en admettant craindre une nouvelle attaque : la veille de son entrevue avec Le Devoir, des
missiles ont frappé Kiev, et une journaliste est morte dans un immeuble résidentiel touché par l’attaque. Pourquoi alors être de retour et reconstruire maintenant ? « Je ne peux pas juste rester assise et ne rien faire, répondelle. À l’avenir, si le destin fait en sorte qu’il y a une nouvelle attaque, ce sera comme ça. »
Les opérations de nettoyage et de déminage vont bon train dans la région depuis le départ des Russes, signe que les habitants veulent reprendre leur vie le plus rapidement possible. Mardi, Oleksandr Pavliuk, le gouverneur de la région de Kiev, indiquait qu’environ 8000 hectares avaient été inspectés pour repérer les mines russes. Les techniciens prévoient terminer l’inspection de la région d’ici la fin du mois de mai.
Mais beaucoup de travail reste à faire, raconte Andrii Titarenko, qui a organisé l’opération nettoyage à la maison de Tamara. L’homme de 39 ans, qui travaille habituellement comme directeur marketing à Kiev, a mis sur pied un groupe de volontaires pour nettoyer et rénover les écoles, les garderies, les parcs, les rues et d’autres bâtiments.
« C’est important que les gens se sentent à l’aise, comme ils reviennent, dit-il. S’il n’y a pas de garderies, les gens ne peuvent pas aller au travail. Les enfants sont en congé présentement, et nous voulons que les écoles soient en mesure d’ouvrir en septembre prochain. » Le groupe peut compter sur l’aide de près de 300 personnes qui ont rejoint leur canal Telegram.
Les dommages sont de grande ampleur dans plusieurs villes ukrainiennes, et cela pourrait prendre des années avant que tout soit reconstruit. Dans les pages de The Economist du 30 avril, le premier ministre de l’Ukraine, Denys Chmyhal, estimait que le coût de reconstruction à grande échelle serait d’environ 600 milliards de dollars, dans un contexte où l’économie du pays a été sérieusement bouleversée depuis le début de la guerre. Le gouvernement a créé un fonds de redressement pour la reconstruction à long terme, et le total des dommages fait aux infrastructures pourrait déjà dépasser les 100 milliards de dollars.
Financé grâce à des dons et à ses propres membres, le groupe d’Andrii espère enlever un fardeau financier au gouvernement en réduisant les coûts de reconstruction. Et, comme plusieurs autres Ukrainiens que Le Devoir a rencontrés, il souhaite avant tout rapidement retrouver un semblant de normalité.
Après le 9 mai
Andrii a le rire facile et il parle avec un enthousiasme contagieux de l’ampleur du travail qu’ils ont accompli. Mais beaucoup de choses restent à faire, particulièrement à Irpin.
Dans la ville, plusieurs commerces ont rouvert leurs portes, et les Ukrainiens marchent dans les rues, font du jogging, se promènent à vélo et se serrent dans les bras en se voyant pour la première fois après une longue séparation. Aux points de contrôle, les militaires sont plus détendus. Mais tout cela dans un décor apocalyptique, avec dans certains quartiers des bâtiments entiers couleur de suie, défoncés et criblés de balles, aux toits affaissés et aux vitres brisées.
Hannah Sylenko, 66 ans, qui est née à Irpin, fera évaluer les dommages faits à sa maison pour avoir droit à du financement. Mais il y a une longue liste de personnes dans sa situation, dit-elle, et elle a peu d’espoir. « Je ne sais pas quand ça arrivera, lance-t-elle. Si d’ici cet automne rien ne bouge, je vais faire un emprunt à la banque et reconstruire moi-même. J’ai besoin d’un endroit où vivre. »
Le Devoir la rencontre au cimetière d’Irpin, alors qu’elle se recueille devant la tombe de son mari. Il a été tué d’une balle dans la tête lorsque les Russes sont arrivés dans leur quartier. Il n’a pas voulu la suivre lorsqu’elle a évacué, raconte-t-elle, car leur puits était la seule source d’eau du quartier et il voulait aider. Si elle veut reconstruire sa maison, elle a néanmoins de la difficulté à se projeter dans l’avenir à cause de la succession rapide de drames qui l’ont touchée. « Je vis uniquement pour mon fils et ma petite-fille », dit-elle, en pleurant.
D’autres préfèrent attendre après le 9 mai, Jour de la victoire célébré par les Russes, avant de recommencer à respirer. Cette date importante en Russie marque la fin de la Deuxième Guerre mondiale et les conjectures vont bon train sur ce que Vladimir Poutine pourrait faire ou annoncer concernant son invasion de l’Ukraine.
« Avant le 9 mai, je vais rester à la maison de mon fils à Kiev », expliquait Volodymyr Khlukhotskyi, 61 ans. « Ensuite, je vais retourner à la maison et nettoyer le bordel que les Russes ont laissé derrière eux », dit celui qui travaillait comme éboueur pour la ville d’Irpin avant l’assaut russe. « À l’avenir, nous allons élever l’Ukraine », promet-il.
Je vais retourner à la maison et nettoyer le bordel que les Russes ont laissé derrière eux
VOLODYMYR KHLUKHOTSKYI