L’île déserte
Mon lit est une île déserte
Où mon corps dans des élans plus ou moins habiles se jette
Je roule ma chair sur ses plages
De tissu et de mousse jusqu’à ce qu’il m’éjecte
Alors je hisse les voiles, me glisse au large Mais les vagues me ramènent sans exception Et parfois dans un triste naufrage
Mon lit est une île déserte Je l’ai exploré de long en large Je m’y sens en marge Tournant tel un lion en cage
Je veux dialoguer avec les monstres en bas et quand on s’engage
Je n’ai pas le bon langage
Au fond je m’enfarge dans des sables mouvants Laissant des traces à tout vent dans cet équilibre instable souvent
Mon lit est une île déserte
Un purgatoire tout de draps recouvert
Un sanctuaire de béton gisant sur un tas de poussière Un abri temporaire contre les intempéries
Une gare sans horaire, un microcosme où le temps périt
Je suis le maître des lieux, monarque sans sujet mais je n’ai pas le contrôle de tout
Je sais les chemins escarpés qui mènent au sommeil et la vue en vaut le coup
De tempérament sédentaire, j’ai établi mon campement dans une moitié
Affrontant les assauts de l’hiver avec des armures de flanelle et de coton ouaté
Parfois une autre âme vient s’y échouer et on mélange nos solitudes
Ça dérange les habitudes
Cette étrange béatitude
On y allume des feux de joie
Avec un peu d’elle, un peu de moi
Des étincelles entre les doigts
Puis la mer vient reprendre ses droits
Dès que mes pieds touchent le sol Je me lance dans des courses folles Jusqu’aux heures où le jour s’étiole
Et si je m’égare dans le brouillard du monde, j’ai un repère facile
Il y a toujours mon lit comme terre d’asile