Le Devoir

Derrière la mouvance antivaccin

Une chercheuse française a analysé les raisons pour lesquelles des parents refusent de faire vacciner leur enfant, en dépit de l’efficacité prouvée de l’interventi­on

- SÉBASTIEN TANGUAY À QUÉBEC

Les vaccins ont sauvé des millions de vies autrement condamnées par la maladie, et pourtant, ils font face à la défiance grandissan­te de parents qui résistent de plus en plus à faire vacciner leurs enfants. Une chercheuse française a tenté de comprendre ces mouvements réfractair­es, motivés autant par leur foi en des médecines alternativ­es que par leur méfiance envers les autorités.

Toujours minoritair­e, souvent discrédité­e, la mouvance antivaccin regroupe une nébuleuse hétéroclit­e qu’Alicia Garcia, de la Faculté de médecine de l’Université de Lorraine, a voulu étudier. Attention, toutefois, aux amalgames, prévient-elle : « Il y a certes un groupe héréditair­e des théories complotist­es qui se méfie de tout, mais il y a aussi une autre partie, au sein du mouvement antivaccin, qui n’est pas contre la vaccinatio­n, mais qui défend plutôt la liberté de choix en ce qui concerne leurs enfants. »

Ces parents se méfient des autorités qui déterminen­t à leur place ce qui est bénéfique pour leurs enfants. « Quand ils se sentent obligés de vacciner ces derniers, ils se disent que leur fils ou leur fille ne leur appartient pas complèteme­nt parce qu’ils n’ont pas le choix » sur leur sort, analyse Alicia Garcia, qui présentait le résultat de ses recherches au congrès de l’Acfas, mardi matin.

L’objectif avoué de la chercheuse, « c’était de donner la parole à des groupes qui sont […] victimes d’une double discrimina­tion ». D’un côté, explique-t-elle, « les témoignage­s des parents antivaccin­s ne jouissent souvent d’aucune validité aux yeux de la majorité. De l’autre, quand cette majorité interprète leur discours, elle se range presque toujours du côté des institutio­ns ». Résultat, analyse la professeur­e : « Personne n’arrive à les comprendre. »

Une mouvance qui remonte à loin

Au Québec, pourtant, un nombre non négligeabl­e de parents partage cette hésitation. Plus de 90 % des adultes ont reçu une première dose de vaccin contre la COVID-19, selon les données du ministère de la Santé. Chez les 5 à 11 ans, la proportion chute à 66 % : plusieurs parents vaccinés, donc, ont refusé d’inoculer leurs enfants.

Ces parents s’inscrivent en faux contre la vision « beaucoup plus interventi­onniste » préconisée par les institutio­ns, selon la chercheuse. Là où « la Santé publique veut préserver la santé de la communauté et éloigner la maladie » en vaccinant la plus grande proportion possible de sa population, les parents hésitants préconisen­t de « laisser la nature faire son travail ». Plusieurs disent même « préférer la maladie au vaccin ».

Le phénomène n’est ni nouveau ni différent d’il y a 150 ans, maintient Alicia Garcia. L’opposition aux vaccins a pris racine dès leur apparition à la fin du XVIIIe siècle. Docteurs, homéopathe­s et apôtres des médecines alternativ­es de tout acabit se méfiaient de la découverte de Jenner et de la généralisa­tion de la pratique par Pasteur.

Encore aujourd’hui, des profession­nels prêchent une autre médecine, doutent des vaccins et remettent en question les consensus. « Ce n’est pas simplement une méfiance, poursuit la chercheuse française. C’est une autre manière d’aborder la santé. »

Dans quelques cas, « il y a un déni de la maladie » qui revient à minimiser sa gravité, voire à la nier en la résumant à une affliction bénigne. Dans d’autres occurrence­s, « il y a une exorcisati­on de la maladie », maintient Mme Garcia, dans laquelle les gens croient que « si nous n’en parlons pas, elle ne viendra pas ». Certains, enfin, « priorisent des pensées positives. Ils se concentren­t sur la santé plutôt que sur la maladie, comme si ça allait promouvoir une guérison ».

« Nous sommes dans le domaine de la croyance, poursuit la chercheuse. Je ne voulais pas montrer que les institutio­ns ou que les parents ont raison. C’est un phénomène qui existe depuis très longtemps, mais que nous ne comprenons toujours pas assez. Pourtant, cette incompréhe­nsion génère des frictions : nous avons une idée du bien collectif à laquelle des groupes n’adhèrent pas. »

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66 % des enfants québécois de 5 à 11 ans ont été vaccinés contre la COVID-19, une proportion bien moindre que chez les adultes.
PAUL CHIASSON ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE Seulement 66 % des enfants québécois de 5 à 11 ans ont été vaccinés contre la COVID-19, une proportion bien moindre que chez les adultes.

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