Derrière la mouvance antivaccin
Une chercheuse française a analysé les raisons pour lesquelles des parents refusent de faire vacciner leur enfant, en dépit de l’efficacité prouvée de l’intervention
Les vaccins ont sauvé des millions de vies autrement condamnées par la maladie, et pourtant, ils font face à la défiance grandissante de parents qui résistent de plus en plus à faire vacciner leurs enfants. Une chercheuse française a tenté de comprendre ces mouvements réfractaires, motivés autant par leur foi en des médecines alternatives que par leur méfiance envers les autorités.
Toujours minoritaire, souvent discréditée, la mouvance antivaccin regroupe une nébuleuse hétéroclite qu’Alicia Garcia, de la Faculté de médecine de l’Université de Lorraine, a voulu étudier. Attention, toutefois, aux amalgames, prévient-elle : « Il y a certes un groupe héréditaire des théories complotistes qui se méfie de tout, mais il y a aussi une autre partie, au sein du mouvement antivaccin, qui n’est pas contre la vaccination, mais qui défend plutôt la liberté de choix en ce qui concerne leurs enfants. »
Ces parents se méfient des autorités qui déterminent à leur place ce qui est bénéfique pour leurs enfants. « Quand ils se sentent obligés de vacciner ces derniers, ils se disent que leur fils ou leur fille ne leur appartient pas complètement parce qu’ils n’ont pas le choix » sur leur sort, analyse Alicia Garcia, qui présentait le résultat de ses recherches au congrès de l’Acfas, mardi matin.
L’objectif avoué de la chercheuse, « c’était de donner la parole à des groupes qui sont […] victimes d’une double discrimination ». D’un côté, explique-t-elle, « les témoignages des parents antivaccins ne jouissent souvent d’aucune validité aux yeux de la majorité. De l’autre, quand cette majorité interprète leur discours, elle se range presque toujours du côté des institutions ». Résultat, analyse la professeure : « Personne n’arrive à les comprendre. »
Une mouvance qui remonte à loin
Au Québec, pourtant, un nombre non négligeable de parents partage cette hésitation. Plus de 90 % des adultes ont reçu une première dose de vaccin contre la COVID-19, selon les données du ministère de la Santé. Chez les 5 à 11 ans, la proportion chute à 66 % : plusieurs parents vaccinés, donc, ont refusé d’inoculer leurs enfants.
Ces parents s’inscrivent en faux contre la vision « beaucoup plus interventionniste » préconisée par les institutions, selon la chercheuse. Là où « la Santé publique veut préserver la santé de la communauté et éloigner la maladie » en vaccinant la plus grande proportion possible de sa population, les parents hésitants préconisent de « laisser la nature faire son travail ». Plusieurs disent même « préférer la maladie au vaccin ».
Le phénomène n’est ni nouveau ni différent d’il y a 150 ans, maintient Alicia Garcia. L’opposition aux vaccins a pris racine dès leur apparition à la fin du XVIIIe siècle. Docteurs, homéopathes et apôtres des médecines alternatives de tout acabit se méfiaient de la découverte de Jenner et de la généralisation de la pratique par Pasteur.
Encore aujourd’hui, des professionnels prêchent une autre médecine, doutent des vaccins et remettent en question les consensus. « Ce n’est pas simplement une méfiance, poursuit la chercheuse française. C’est une autre manière d’aborder la santé. »
Dans quelques cas, « il y a un déni de la maladie » qui revient à minimiser sa gravité, voire à la nier en la résumant à une affliction bénigne. Dans d’autres occurrences, « il y a une exorcisation de la maladie », maintient Mme Garcia, dans laquelle les gens croient que « si nous n’en parlons pas, elle ne viendra pas ». Certains, enfin, « priorisent des pensées positives. Ils se concentrent sur la santé plutôt que sur la maladie, comme si ça allait promouvoir une guérison ».
« Nous sommes dans le domaine de la croyance, poursuit la chercheuse. Je ne voulais pas montrer que les institutions ou que les parents ont raison. C’est un phénomène qui existe depuis très longtemps, mais que nous ne comprenons toujours pas assez. Pourtant, cette incompréhension génère des frictions : nous avons une idée du bien collectif à laquelle des groupes n’adhèrent pas. »