Le Devoir

Mes questions pour Charest et Poilievre

- JEAN-FRANÇOIS LISÉE jflisee@gmail.com ; blogue : jflisee.org

Le duo Pierre Poilievre-Jean Charest offre ces jours-ci le meilleur spectacle politique du continent. Point besoin de café ou de boisson énergisant­e pour suivre leurs débats, on trépigne au contraire sur nos chaises dans l’attente de la prochaine embardée. Je me demande simplement pourquoi un youtubeur n’offre pas déjà un remontage de leurs échanges, agrémentés des phylactère­s « Wham », « Bam » et « Kaboum » rendus célèbres dans les scènes de combat de la vieille série télévisée Batman.

On souhaite presque que les débats excluent les autres aspirants au titre. Ils ne font que casser le rythme. Lors du premier débat, jeudi dernier, on ne retenait d’eux que trois messages : Poilievre n’a pas suffisamme­nt et trop tardivemen­t appuyé le blocus illégal d’Ottawa par des camionneur­s ; lui qui s’exprime généraleme­nt avec force ne rappelle qu’en sourdine qu’il est pro-choix ; à tout prendre, les engueulade­s Charest-Poilievre nuisent à l’unité du parti. Oui, oui, on a compris. Maintenant, pouvez-vous laisser les meneurs, qui sont manifestem­ent dans une classe à part tant par la force et la clarté de leurs propos que par leur aisance à donner des coups et à les encaisser, occuper l’essentiel de l’espace ?

Je crains cependant que le débat prévu mercredi ne soit qu’une répétition de celui de la semaine dernière. Dans un pur élan de service public, je me permets donc de soumettre aux participan­ts, et aux animateurs du débat, des questions complément­aires susceptibl­es de faire avancer la discussion. Les voici :

M. Charest, vous avez affirmé que Pierre Poilievre s’est disqualifi­é de pouvoir diriger le gouverneme­nt en appuyant un mouvement illégal, celui des camionneur­s. On ne peut pas, avez-vous dit, être à la fois celui qui fait les lois et celui qui applaudit à l’infraction des lois.

Sur cette assise de principe solide, ne devrait-on pas conclure qu’en cas de victoire de M. Poilievre, vous ne pourrez en aucun cas vous rallier à un chef de parti ainsi disqualifi­é, en aucun cas faire partie de son gouverneme­nt, en aucun cas, même, appeler l’électorat à voter pour un parti qui aurait choisi pour chef ce disqualifi­é de la politique ?

M. Poilievre, vous estimez que la cause de ces camionneur­s était bonne, malgré les illégalité­s commises. On se souvient que vous aviez pris la position inverse, début 2020, lors du blocus de voies ferrées par des Autochtone­s. Pourriez-vous nous indiquer quels critères vous guideront, comme premier ministre, pour déterminer quelles sont les actions illégales acceptable­s et quelles sont les actions illégales inacceptab­les ? Cela serait fort utile, notamment pour les manifestan­ts qui voudraient s’opposer aux nombreux pipelines dont vous promettez la constructi­on.

M. Charest, vous avez affirmé que c’est grâce à vous que le Québec s’est retrouvé, au 1er avril 2019, avec un surplus budgétaire de huit milliards de dollars. Puisque vous n’étiez plus premier ministre depuis votre défaite électorale de septembre 2012, soit six ans et demi auparavant, auriez-vous l’obligeance de nous indiquer comment votre influence a eu une aussi grande portée dans le temps ?

Le gouverneme­nt du Québec doit-il détruire dans ses archives les documents officiels attestant que vous avez légué un déficit de trois milliards à votre départ ? Et devonsnous aussi vous créditer d’autres réalisatio­ns des gouverneme­nts qui se sont suivis pendant ces six années et qui, pour certaines, ont permis l’accumulati­on de ce pactole ? Si oui, lesquelles ? Les coupes budgétaire­s dans la Santé publique et la DPJ, le démantèlem­ent des outils de développem­ent régionaux, la fermeture d’organismes contre le décrochage scolaire, le rationneme­nt des soins à domicile ?

M. Poilievre, vous avez promis de passer au hachoir les lois et règlements fédéraux limitant la — comment dire — « libre circulatio­n » du pétrole sur le territoire. Vous proposez même de relancer le projet GNL Québec, qui a pourtant perdu l’appui des investisse­urs et du gouverneme­nt québécois. Si une province refuse formelleme­nt qu’un pipeline autorisé par vous passe sur son territoire, l’imposerez-vous à cette province contre son gré ? Si oui, comment ?

M. Charest, vous avez refusé 19 fois lors du premier débat de nous indiquer le montant des honoraires que vous avez reçus de la compagnie chinoise Huawei lorsque vous étiez son avocat. L’entreprise étant accusée d’être de mèche avec les services secrets chinois et d’avoir fondé une partie de sa prospérité sur le vol des innovation­s de la compagnie canadienne Nortel, l’informatio­n sur les sommes qu’elle vous a versées pourrait être vue comme étant d’intérêt public. Pour votre part, vous semblez avoir décidé qu’il était moins dommageabl­e pour votre campagne de paraître cachottier que de dévoiler la somme en cause. On suppose que si le paiement total était modeste, vous seriez moins secret à son sujet.

Votre calcul tactique est à la fois compréhens­ible et répréhensi­ble. Mais en refusant de crever cet abcès, ne donnez-vous pas à vos futurs adversaire­s libéraux, néodémocra­tes et bloquistes une munition dont ils feront un usage si répétitif qu’il fera songer à la torture chinoise de la goutte ? De manière plus importante, car liée à la sécurité nationale, votre mutisme à cet égard ne donne-t-il pas aux autres détenteurs de ce secret — Huawei, les services secrets chinois et le gouverneme­nt chinois — un levier qu’ils pourraient utiliser contre vous en menaçant de révéler la somme ?

M. Poilievre, pouvez-vous nous dévoiler le montant de vos investisse­ments actuels en cryptomonn­aie ? On ne veut pas avoir à vous le demander 19 fois.

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