Un vent de changement
Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a choisi son moment pour rendre public le rapport du Comité consultatif sur les changements climatiques sur l’aménagement du territoire du Québec, rapport qu’il a reçu il y a un peu plus d’un mois. L’Union des municipalités du Québec (UMQ) tient ses assises annuelles à Québec cette semaine et la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, donnera, vendredi devant ce parterre de maires, un aperçu de sa politique d’architecture et d’aménagement du territoire qu’elle doit présenter plus tard ce printemps.
Le rapport du comité consultatif, composé de scientifiques, d’universitaires et d’écologistes, établit un lien direct et « fondamental » entre l’aménagement du territoire et la lutte contre les changements climatiques. Il y va de plusieurs recommandations pour freiner l’étalement urbain afin de préserver et restaurer les milieux naturels et ainsi arrêter l’« artificialisation du Québec méridional ».
S’opposant à des orientations du gouvernement caquiste, le comité recommande qu’aucun nouveau projet d’autoroute ne soit autorisé dans les six régions métropolitaines du Québec, donc pas seulement à Montréal et Québec, mais aussi à Gatineau, Sherbrooke, Trois-Rivières et Saguenay. Même si le comité ne mentionne pas l’éléphant dans la pièce, c’est-à-dire le troisième lien, il est clair que cet ajout à la capacité autoroutière ne devrait pas se réaliser à moins que la réduction de l’étalement urbain ne soit qu’un voeu pieux.
Il y a plusieurs façons de mesurer l’étalement urbain, allant de la distance parcourue entre le domicile et le travail à un indice de densité urbaine. Le rapport relève que l’étalement urbain, en fonction de la densité relative de la population, a légèrement diminué dans la grande région de Toronto, une agglomération deux fois plus compacte que Montréal, mais qu’il a augmenté de 19 % de 2006 à 2016 dans la région de Québec et de 11 % dans celle de Montréal. Le phénomène est présent non seulement dans ces deux grands centres, mais aussi dans l’ensemble du Québec.
Quand le ministre des Transports, François Bonnardel, en présentant la nouvelle mouture du troisième lien, a qualifié la densification urbaine de « mode » qui ne convenait souvent pas aux jeunes familles, il a soulevé une forte réaction du monde municipal. Les mentalités sont en train de changer. La construction de maisons unifamiliales sur des terrains vierges est perçue par plusieurs maires — pas tous, évidemment — comme un modèle qui a fait son temps.
Changer le régime d’aménagement du territoire, et remplacer la loi actuelle, adoptée il y a 43 ans, s’impose dans un contexte de lutte contre les changements climatiques. Mais c’est un exercice complexe. Sur le plan politique, les points de vue des différents maires peuvent être difficiles à concilier.
La récente élection de plusieurs nouveaux maires et mairesses souffle un « vent de changement », a affirmé à La Presse le président de l’UMQ et maire de Gaspé, Daniel Côté, que ce soit Catherine Fournier à Longueuil, Stéphane Boyer à Laval, France Bélisle à Gatineau, ou Bruno Marchand à Québec, pour ne nommer que ceux-là. La lutte contre les changements climatiques, dans laquelle les municipalités ont un rôle crucial à jouer, fait maintenant partie des préoccupations de cette nouvelle garde. La densification urbaine répond à des impératifs écologiques en préservant des milieux naturels et en diminuant les émissions de gaz à effet de serre (GES), mais elle permet aussi d’améliorer la qualité de vie des citoyens.
N’en déplaise à François Bonnardel, la « tour à condos » de 20 étages n’est pas le seul modèle de densification urbaine. La ministre Andrée Laforest l’a souligné à l’Assemblée nationale mardi. « Il y a moyen de construire autrement », a-t-elle affirmé, des multilogements, des maisons en rangée, des maisons multigénérationnelles.
Changer le régime d’aménagement du territoire, et remplacer la loi actuelle, adoptée il y a 43 ans, s’impose dans un contexte de lutte contre les changements climatiques. Mais c’est un exercice complexe. Sur le plan politique, les points de vue des différents maires peuvent être difficiles à concilier. Il y a dix ans, Laurent Lessard, alors ministre des Affaires municipales, s’est cassé les dents avec son projet de Loi sur l’aménagement durable du territoire et l’urbanisme. Les citoyens ne sont pas au même diapason, non plus. La conversion de multifamiliales en duplex et en triplex, par exemple, suscite souvent une vive opposition. La densification n’est pas exempte de contraintes et d’inconvénients.
En outre, le nouveau régime d’aménagement du territoire passe par des changements majeurs sur le plan de la fiscalité et des pouvoirs d’intervention des municipalités. Le gouvernement qui s’attellera à cette tâche devra faire preuve de vision, mais aussi d’une indéfectible détermination.