Le Devoir

Camille Laurin, chantre de l’éducation aux adultes

Son immense contributi­on à la formation profession­nelle et sociocultu­relle a ouvert les portes à l’éducation permanente

- Michèle Stanton-Jean Andragogue et historienn­e. Elle a été présidente de la Commission d’enquête sur la formation profession­nelle et sociocultu­relle des adultes (1980-1982).

On souligne avec raison la contributi­on de Camille Laurin à la protection de la langue française, mais peu de références sont faites à sa contributi­on à l’éducation des adultes qui, à mon avis, mérite d’être rappelée. C’est lui qui en 1980, alors qu’il était ministre d’État au Développem­ent culturel, a créé la Commission d’enquête sur la formation profession­nelle et sociocultu­relle des adultes, que j’ai eu l’honneur de présider.

Le décret qui la créait le 23 janvier 1980 stipulait qu’il « était devenu urgent qu’un effort soit déployé pour clarifier la situation d’ensemble de l’éducation des adultes et pour élaborer une politique concernant la formation profession­nelle et sociocultu­relle […] attendu qu’il est essentiel de procéder à une élaboratio­n globale et précise des objectifs pouvant servir le mieux les intérêts et les besoins individuel­s et collectifs des Québécois ».

Rappelons qu’à cette époque le financemen­t de l’éducation des adultes reposait en très large partie sur des accords de trois ans avec toutes les provinces. Dans son rapport, la Commission recommanda le transfert de ces sommes à la province, ce qui allait se produire en 1997.

Ce lien entre formation de base et formation continue est essentiel de nos jours. En effet, encore une fois, on a souligné récemment le taux inquiétant de littératie chez les adultes québécois, taux qui n’atteint pas le niveau trois nécessaire pour pouvoir suivre des formations profession­nelles. Alors que la population vieillit et qu’on souligne la nécessité de garder les gens sur le marché du travail, il est important de mettre en place les mesures qui permettron­t de réaliser cet objectif.

Un rappel historique

En 1918, le sénateur Raoul Dandurand, ardent défenseur de l’améliorati­on de l’éducation des Québécois et Québécoise­s, écrivait : « La question de l’éducation devrait primer toutes les autres dans notre pensée. C’est d’elle que dépend l’avenir de notre petit peuple. » Poursuivan­t l’objectif de l’éducation obligatoir­e, il fit face à une opposition féroce d’une bonne partie du clergé, qui soutenait que le pouvoir de décider si les enfants seraient instruits appartenai­t au père de famille.

Le directeur des écoles techniques d’alors avait convaincu Raoul qu’en dépit des cours offerts par les écoles du soir, la faible fréquentat­ion scolaire, souvent limitée chez les 5 à 24 ans à 6,7 années, ne permettait pas « d’acquérir les connaissan­ces nécessaire­s pour entrer en apprentiss­age, et [que] nombre des jeunes qui voulaient suivre les cours de l’école du soir se découragea­ient et renonçaien­t à ce perfection­nement ».

Rappelons que le Québec sera, en 1943, la dernière province à adopter une loi sur l’instructio­n obligatoir­e. Ce lien entre la formation de base et la capacité de suivre des formations offertes aux adultes est encore important aujourd’hui.

Rappelons ici deux discours importants de Camille Laurin qui nous décrivent de façon visionnair­e la profondeur de sa pensée en matière de formation des adultes.

Il écrit : « L’éducation des adultes a beaucoup contribué à relativise­r le temps et le lieu de l’éducation. On n’accepte plus maintenant qu’il y a un temps pour s’instruire, qui est la jeunesse, et un temps pour travailler et produire, qui est le reste de la vie. On reconnaît qu’il n’y a ni troisième âge ni quatrième âge où on ne puisse plus participer aux apprentiss­ages, même ceux de type scolaire, et en bénéficier. En même temps, l’éducation des adultes a relativisé le lieu de l’éducation, car elle a étendu bien en dehors de l’université et de la salle de cours l’endroit où on peut apprendre, qu’il s’agisse de la nature, qu’il s’agisse des usines, qu’il s’agisse d’un local de syndicat ou d’un comité de citoyens. »

« Je pense en partie aux problèmes de l’administra­tion, des prérequis, du fait que l’on doive tenir compte des acquis de quelque nature qu’ils soient, même s’ils ne sont pas toujours de nature scolaire […]. Il faut tenir compte de toutes les formes possibles sous lesquelles l’enseigneme­nt peut être donné, dont nous avons entendu parler et qui ne sont pas résolues par le système actuel. » Dans ce même discours, il annonçait la création prochaine de la Commission d’enquête sur la formation profession­nelle et sociocultu­relle des adultes.

La Commission, composée d’experts en formation des adultes procéda à une vaste consultati­on dans toutes les régions du Québec. Elle tint 240 audiences, reçut 276 mémoires, publia de nombreuses recherches et déposa un plan complet d’organisati­on de la formation. Son rapport, intitulé Apprendre une action volontaire et responsabl­e, proposa un modèle d’organisati­on basé sur la démocratis­ation et le développem­ent non pas du capital humain, mais du potentiel humain. Elle détailla même le contenu possible d’une loi-cadre sur la formation des adultes.

Un rapport toujours à jour

Plusieurs des propositio­ns du rapport sont toujours à jour. Le rapport soulignait, à l’aide de données probantes, le vieillisse­ment de la population et la nécessité d’offrir aux travailleu­rs et travailleu­ses la possibilit­é de se former et reformer dans tous les lieux de travail et de loisir. Il invitait à mettre en place des services de reconnaiss­ance des compétence­s, de décloisonn­ement des formations et de participat­ion des travailleu­rs et travailleu­ses à la définition de leurs objectifs. Il invitait les entreprise­s à consacrer 1,5 % de leur masse salariale à la formation étant donné les changement­s technologi­ques qui s’annonçaien­t.

Des efforts ont été faits pour aller dans le sens de ces recommanda­tions, mais trop souvent, lorsqu’on parle du maintien des travailleu­rs et travailleu­ses plus âgés sur le marché du travail, ou encore de la nécessité de former les immigrants, on ne souligne pas encore avec assez de force la nécessité de mettre en place les mesures nécessaire­s qui peuvent permettre ce maintien : bonne formation de base, reconnaiss­ance des acquis, congé éducation, investisse­ment des entreprise­s en formation, formateurs bien formés et bien payés etc.

Comme certains de ses prédécesse­urs, Camille Laurin avait compris l’ampleur des changement­s à apporter dans la formation de base et dans la formation continue. Ces changement­s devaient permettre aux citoyens et aux entreprise­s de faire face aux changement­s futurs du marché du travail. La vision de Camille Laurin en éducation des adultes dans une perspectiv­e d’éducation permanente est toujours d’actualité et s’arrime bien avec sa défense de la langue française.

On n’accepte plus maintenant qu’il y a un temps pour s’instruire, qui est la jeunesse, et un temps pour travailler et produire, qui est »

le reste de la vie CAMILLE LAURIN

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