Le Devoir

Le gouverneme­nt ordonne de tirer sur les émeutiers

Le pays est plongé depuis des mois dans une grave crise économique entraînant des pénuries

- AMAL JAYANSINGH­E À COLOMBO AGENCE FRANCE-PRESSE

Le gouverneme­nt du Sri Lanka a ordonné mardi aux forces de l’ordre de « tirer à vue » sur les pillards et les personnes impliquées dans des violences, au lendemain des affronteme­nts les plus meurtriers depuis des semaines dans le pays, qui ont précipité la démission du premier ministre.

Plusieurs centaines de manifestan­ts ont néanmoins défié le couvre-feu à Colombo, capitale de cette île de 22 millions d’habitants en proie à une crise économique historique.

L’ONU a dénoncé « l’escalade de la violence » et demandé aux autorités d’entamer le dialogue avec la population, qui est excédée par des mois de graves pénuries de nourriture, de carburant et de médicament­s et qui demande le départ de la famille Rajapaksa du pouvoir. L’Union européenne a exhorté toutes les parties à éviter la violence.

Le ministère de la Défense a annoncé mardi que « les forces de sécurité ont reçu l’ordre de tirer à vue sur quiconque pillera des biens publics ou attentera à la vie » d’autrui. Des dizaines de milliers de militaires ont été déployés dans les rues du pays.

En réponse, des manifestan­ts ont incendié des dizaines de maisons d’hommes politiques appartenan­t au parti au pouvoir et ont tenté de prendre d’assaut la résidence officielle du premier ministre, située dans la capitale.

Un hôtel de luxe qui appartiend­rait à un proche de la famille Rajapaksa a également été incendié mardi soir près de la forêt tropicale de Sinharaja (sud).

Plus tôt dans la journée, le numéro deux de la police nationale a été légèrement blessé par la foule et son véhicule incendié, près de la résidence du premier ministre à Colombo, selon les autorités.

La haute-commissair­e de l’ONU aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, s’est dite mardi « profondéme­nt troublée » après que des partisans du premier ministre Mahinda Rajapaksa « ont attaqué des manifestan­ts pacifiques à Colombo » lundi, ainsi que par « les attaques de foules contre les membres du parti au pouvoir qui ont suivi ».

« Les gens sont en colère après les attaques lancées contre nous hier. Et malgré le couvre-feu, nous avons beaucoup de volontaire­s qui viennent nous apporter de la nourriture et de l’eau », a déclaré un manifestan­t, Chamal Polwattage, ajoutant : « Nous ne partirons pas tant que le président [Gotabaya Rajapaksa] ne s’en ira pas. »

Les affronteme­nts de lundi ont fait huit morts, dont deux policiers, et plus de 200 blessés, selon la police. Il s’agit de la journée la plus meurtrière depuis le 19 avril, lorsque la répression d’une manifestat­ion antigouver­nementale avait fait un mort et plus de 24 blessés dans le centre du pays. Des dizaines de bâtiments et des centaines de véhicules ont été incendiés.

Les manifestan­ts et les chefs religieux sri-lankais ont reproché au premier ministre, qui a démissionn­é, d’avoir incité ses partisans à la violence.

« Arrêtez les responsabl­es de l’instigatio­n de la violence, indépendam­ment de leur position politique », a ordonné à ses troupes Chandana Wickramara­tne, le chef de la police. Cette dernière a, comme la commission locale des droits de la personne, annoncé l’ouverture d’une enquête.

« Mauvaise passe »

Le pays est secoué depuis plusieurs semaines par des manifestat­ions quotidienn­es contre le gouverneme­nt des Rajapaksa, après des mois de pénuries marquant la plus grave crise économique depuis l’indépendan­ce, proclamée en 1948. Les autorités ont annoncé que le couvre-feu serait levé mercredi matin. Bureaux, magasins et écoles sont restés fermés mardi.

L’armée a exfiltré tôt mardi Mahinda Rajapaksa de sa résidence officielle, après que des milliers de manifestan­ts en ont forcé un des portails et ont tenté de prendre d’assaut le bâtiment où le frère du président, Gotabaya Rajapaksa, s’était retranché avec sa famille.

« Mon père est en sécurité, il se trouve dans un endroit sûr », a déclaré à l’Agence France-Presse son fils aîné, Namal Rajapaksa, 35 ans, avocat de formation. Il a ajouté que son père resterait député et entendait jouer un rôle actif dans le choix de son successeur.

« Nous ne quitterons pas le pays », a-t-il souligné, qualifiant la colère nationale contre sa famille de « mauvaise passe ».

Lundi, à Nittambuwa, à une cinquantai­ne de kilomètres au nord de la capitale, un député du parti au pouvoir, Amarakeert­hi Athukorala, s’est suicidé après avoir tiré sur deux manifestan­ts antigouver­nementaux qui bloquaient sa voiture. Deux autres personnes ont été tuées dans la journée, à Weeraketiy­a (sud), où un membre du parti au pouvoir a tiré sur des manifestan­ts.

Tentatives de pourparler­s

Le président est toujours en fonction, avec des pouvoirs étendus et le commandeme­nt des forces de sécurité. Même avec un gouverneme­nt de coalition, il pourra nommer et destituer les ministres ainsi que les juges, et bénéficier­a de l’immunité.

Les partis d’opposition ont déclaré mardi avoir annulé les pourparler­s en vue d’une coalition avec le gouverneme­nt après l’explosion de violence. Mais selon des sources politiques, des tentatives étaient toujours en cours pour qu’une réunion en ligne entre le président et tous les partis politiques soit organisée.

Pour Akhil Bery, de l’Asia Society Policy Institute, quoi qu’il arrive, le prochain gouverneme­nt devra prendre des « décisions impopulair­es » pour redresser l’économie en ruine.

Tout renfloueme­nt par le Fonds monétaire internatio­nal, actuelleme­nt en négociatio­n, signifiera­it « une augmentati­on des impôts et une diminution des dépenses publiques, ce qui est une combinaiso­n politiquem­ent toxique ».

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ISHARA S. KODIKARA AGENCE FRANCEPRES­SE Les affronteme­nts de lundi ont fait huit morts et plus de 200 blessés.

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