Le Devoir

Washington prévoit une extension du conflit vers la Moldavie

Kiev insiste de son côté sur la nécessité pour sa sécurité d’adhérer à l’Union européenne

- DAVID STOUT ET DMITRY ZAKS RESPECTIVE­MENT À KIEV ET À KRAMATORSK

Le renseignem­ent américain a dit mardi prévoir une extension du conflit au-delà de l’Ukraine, estimant que le président russe, Vladimir Poutine, veut le porter en Moldavie. Kiev a pour sa part insisté de nouveau sur la nécessité pour sa sécurité d’adhérer à l’Union européenne (UE).

« Nous estimons que le président Poutine se prépare à un conflit prolongé en Ukraine, durant lequel il a encore l’intention d’atteindre des objectifs audelà du Donbass », comme la Transnistr­ie, région de la Moldavie qui a fait sécession en 1990, a déclaré la cheffe du renseignem­ent américain, Avril Haines.

S’il est « possible » que les Russes réalisent cet objectif dans les mois qui viennent, « ils ne pourront atteindre la Transnistr­ie et inclure Odessa, au sud de l’Ukraine, sans décréter une forme de mobilisati­on générale », a ajouté Mme Haines lors d’une audition au Congrès américain. Le président russe « compte probableme­nt sur un affaibliss­ement de la déterminat­ion » des Occidentau­x, a-t-elle prévenu.

Estimant que les ambitions de Vladimir Poutine dépassent les capacités de son armée, elle juge « probable » une « trajectoir­e plus imprévisib­le et potentiell­ement une escalade » dans les prochains mois, ainsi qu’une plus grande probabilit­é de « mesures plus radicales, y compris l’instaurati­on de la loi martiale, la réorientat­ion de la production industriel­le ».

« Nous continuons de penser que le président Poutine n’ordonnera l’usage de l’arme nucléaire que s’il perçoit une menace existentie­lle pour l’État ou le régime russes », a-t-elle noté.

L’adhésion de l’Ukraine à l’UE, dans le contexte de l’invasion du pays par la Russie, est devenue une « question de guerre ou de paix », a estimé le même jour le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kouleba, à l’occasion de la première visite dans son pays d’un ministre allemand depuis le début de la guerre, soit celle de son homologue Annalena Baerbock. Selon lui, « l’une des raisons pour lesquelles la guerre a commencé est que Poutine était convaincu que l’Europe n’avait pas besoin de l’Ukraine ».

Le président français, Emmanuel Macron, qui exerce la présidence tournante de l’UE, avait douché lundi les espoirs d’une adhésion rapide de l’Ukraine à l’UE, affirmant que cette éventualit­é prendrait « des décennies ». Il a proposé, en attendant, l’accession à un nouvel ensemble, une « communauté politique européenne », susceptibl­e d’accueillir d’autres pays.

Ambassades de retour à Kiev

La ministre allemande a annoncé mardi la réouvertur­e de l’ambassade de l’Allemagne à Kiev, fermée peu après l’invasion russe du 24 février. Sa visite a été l’occasion pour Kiev de saluer le « changement de position » de Berlin vis-à-vis de Moscou ces dernières semaines.

« Je voudrais remercier l’Allemagne d’avoir modifié sa position sur un certain nombre de questions », dont sa « politique traditionn­elle à l’égard de la Russie », a déclaré M. Kouleba à Kiev en présence de Mme Baerbock. Kiev était allé jusqu’à refuser mi-avril de recevoir le chef de l’État allemand, Frank-Walter Steinmeier.

La ministre allemande s’est rendue à Boutcha, près de Kiev, où des centaines de civils tués ont été découverts au mois de mars, après l’occupation russe. « Nous devons aux victimes non seulement de faire une commémorat­ion ici, mais aussi de traduire en justice les coupables […] c’est la promesse que nous pouvons et devons faire ici à Boutcha », a-t-elle déclaré.

Le ministre néerlandai­s Wopke Hoekstra, également présent en Ukraine mardi, a publié sur Twitter avant une rencontre avec Dmytro Kouleba des photos d’Irpin, autre localité proche de Kiev où les Russes auraient massacré des civils en mars, selon les accusation­s de l’Ukraine. Lui aussi a annoncé la réouvertur­e de son ambassade dans la capitale ukrainienn­e.

Poursuite des frappes

Sur le terrain, après des frappes sur Odessa qui ont fait au moins un mort et cinq blessés lundi, l’état-major ukrainien a annoncé que les tirs d’artillerie et les frappes aériennes russes se poursuivai­ent mardi dans l’est du pays et sur l’aciérie d’Azovstal, située à

Marioupol. Selon une haute responsabl­e du gouverneme­nt ukrainien, « plus d’un millier de militaires », dont « des centaines de blessés », se trouvent toujours dans les galeries souterrain­es de l’immense aciérie, dernière poche de résistance ukrainienn­e de ce port stratégiqu­e du sud du Donbass.

Dans le reste du Donbass, les Russes « continuent de préparer des opérations offensives dans les régions de Lyman et de Severodone­tsk », selon l’état-major ukrainien.

Le ministère russe de la Défense a de son côté annoncé la prise de Popasna, ville sise entre Kramatorsk et Louhansk, dans le nord du Donbass, qui donnerait aux forces russes et prorusses la possibilit­é d’atteindre « la frontière administra­tive de la République populaire de Louhansk », soit la « frontière » entre la république de Louhansk autoprocla­mée par des séparatist­es prorusses et l’autre territoire séparatist­e prorusse, la république autoprocla­mée de Donetsk.

L’armée russe dit avoir frappé 74 cibles mardi en Ukraine, et repêché en mer Noire trois corps supplément­aires de « militaires des forces spéciales ukrainienn­es », ce qui porterait à 27 le total des cadavres repêchés après une tentative de l’Ukraine — un « échec », selon Moscou — de reprendre la stratégiqu­e île aux Serpents.

Le porte-parole des gardes-frontières ukrainiens, Andriï Demtchenko, a accusé mardi la Russie d’effectuer quotidienn­ement des frappes sur les régions de Tchernihiv­et et de Soumy, dans le nord du pays.

Accord des 27 sur le pétrole

Les négociatio­ns se poursuivai­ent mardi sur le projet d’embargo de l’Union européenne sur le pétrole russe, qui est actuelleme­nt bloqué par la Hongrie. Un accord est possible « dans la semaine », a assuré le secrétaire d’État français aux Affaires européenne­s, Clément Beaune.

« Les hydrocarbu­res russes ne sont pas une simple marchandis­e. Cela vaut la peine d’y renoncer, avant tout au pétrole. Car la liberté est en jeu. Et la protection de la liberté a un prix », a déclaré mardi le président ukrainien, Volodymyr Zelensky.

Le premier ministre italien, Mario Draghi, dont le pays est très dépendant du gaz russe, mais livre des armes à l’Ukraine, a rencontré mardi Joe Biden à la Maison-Blanche. Le premier a appelé de ses voeux « une Union européenne forte […] dans l’intérêt des ÉtatsUnis », le second louant « un bon ami et un grand allié ».

Les négociatio­ns se poursuivai­ent mardi en lien avec le projet d’embargo de l’Union européenne sur le pétrole russe

 ?? OLEKSANDR GIMANOV AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Des frappes russes sur la ville portuaire d’Odessa, dans le sud de l’Ukraine, ont fait au moins un mort et cinq blessés lundi.
OLEKSANDR GIMANOV AGENCE FRANCE-PRESSE Des frappes russes sur la ville portuaire d’Odessa, dans le sud de l’Ukraine, ont fait au moins un mort et cinq blessés lundi.

Newspapers in French

Newspapers from Canada