Le torchon brûle au chemin Roxham
Le fédéral ne répond pas à la demande de Québec de fermer le point de passage frontalier
Justin Trudeau n’a pas mordu, mercredi, aux demandes renouvelées de Québec, qui réclame la fermeture du passage frontalier du chemin Roxham. La situation est pourtant insoutenable, selon le gouvernement de François Legault.
Québec prévoit qu’au rythme actuel, plus de 35 000 demandeurs d’asile se présenteront à ce point de la frontière canado-américaine cette année.
C’est beaucoup trop, soutient le gouvernement Legault, qui a appelé mercredi le fédéral, pour une deuxième fois en moins de cinq mois, à « arrêter ce flux quotidien » .
« On veut que [les passages] se fassent de manière ordonnée, régulière et légale. On est rendus à un stade où on excède nos capacités », a indiqué le ministre québécois de l’Immigration, Jean Boulet, à l’Assemblée nationale.
L’élu de la CAQ évalue la capacité d’hébergement du Québec à 1150 demandeurs. « On y est, ou à peu près », a-t-il dit en mêlée de presse. Et, avec l’été, le gouvernement Legault ne s’attend pas à voir le flux de migrants diminuer. « Il y a une augmentation actuellement », a souligné le premier ministre mercredi.
« [Roxham], c’est une passoire ; c’est reconnu à l’échelle internationale, a déploré le ministre Boulet. Ça ne peut pas continuer comme ça. »
Nouvel accord en immigration ?
À Ottawa, le gouvernement de Justin Trudeau n’a pas voulu s’engager, mercredi, à barrer la route aux migrants qui se présentent au sud de la Montérégie.
Il assure que les négociations avec les États-Unis en vue de la signature d’une nouvelle entente en immigration vont bon train. « Je sais qu’il y a des progrès avec les ressources qu’on a mises sur ce point [de passage] particulier à la frontière », a précisé en point de presse le ministre fédéral de la Sécurité publique et ex-ministre de l’Immigration, Marco Mendicino. Il assure que le chemin Roxham est « un dossier qui est très important » pour son gouvernement, et dit qu’il « collabore toujours avec le gouvernement Legault ».
On veut que [les passages] se fassent de manière ordonnée, régulière et légale » JEAN BOULET
Son collègue de l’Immigration, Sean Fraser, a répété que le gouvernement devait « respecter les droits des demandeurs d’asile » et suivre « des normes légales » quant à leur accueil.
En choeur, les quatre principaux partis à l’Assemblée nationale ont exigé qu’Ottawa revoie l’Entente sur les tiers pays sûrs, l’accord qui régit la traversée des demandeurs d’asile au Canada.
Entré en vigueur en 2004, le pacte autorise le Canada, dans les faits, à refuser toute demande d’asile effectuée à un poste officiel à la frontière canadoaméricaine sous prétexte que les ÉtatsUnis sont un pays « sûr ». Ne pouvant donc pas passer par les postes douaniers qui parsèment la plus longue frontière terrestre du monde, les migrants ont historiquement été refoulés vers des points de passage irrégulier comme celui du chemin Roxham, ce qui concentre donc leur arrivée au Québec.
Jean Boulet veut voir le gouvernement fédéral à la table de négociation avec les États-Unis au plus vite afin qu’ils revoient cette entente. Or, jusqu’ici, Ottawa s’est traîné les pieds, a-til avancé mercredi. « Cette entente-là, ou on la met de côté, ou on la redéfinit, ou on la modernise. Et à cet égardlà, Ottawa a énormément de travail à faire », a-t-il affirmé.
Des appuis à la position caquiste
En exigeant la fin des demandes d’asile au chemin Roxham, la CAQ rejoint les arguments du Parti québécois (PQ), qui insiste depuis le début de la semaine pour que soit réglée la situation dans ce coin de la Montérégie. « Qu’on encourage les passages illégaux seulement au Québec et que ça atteigne des dizaines et des dizaines de milliers d’entrées par année, c’est de faire porter au Québec un fardeau administratif […] qui n’a aucune logique », a clamé le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, en matinée.
Le Bloc québécois a entrepris de transposer les demandes du gouvernement québécois à Ottawa. Le parti d’Yves-François Blanchet a déposé une motion devant le Parlement, mercredi, pour demander au gouvernement qu’il suspende cette entente avec les ÉtatsUnis « et qu’elle réclame le passage des migrants par les voies régulières partout au Canada et, conséquemment, la fermeture du chemin Roxham ».
La motion a été battue, faute d’obtenir l’unanimité.
« La capacité d’accueil responsable de l’État québécois a des limites dont il faut tenir compte — sauf si on veut, en effet, faire déborder la capacité québécoise en [matière] d’accueil, d’intégration et de francisation », a expliqué le chef bloquiste, Yves-François Blanchet.
Le Parti conservateur du Canada a aussi critiqué l’approche du gouvernement libéral, jugée trop laxiste. « Si nous voulons limiter l’arrivée de toutes ces drogues et armes illégales, nous avons besoin d’investir plus dans nos points d’entrée et de sécuriser le chemin Roxham », a déclaré la députée conservatrice manitobaine Raquel Dancho.
Des bémols
Pour le Parti libéral du Québec, la position défendue par le gouvernement caquiste, le PQ et le Bloc a quelque chose d’« inhumain ». « La moindre des choses, ici, c’est à mon avis de démontrer une certaine humanité face à des personnes qui sont démunies », a soutenu le député libéral Carlos Leitão.
Québec solidaire craint pour sa part qu’une fermeture unilatérale du chemin Roxham ne fasse que mettre en danger les quelques dizaines de milliers de demandeurs d’asile qui se présenteront à la frontière québécoise cette année. « Ça [déplace] le problème vers des endroits inconnus, ça [fera] encore davantage de demandeurs d’asile qui vont traverser n’importe où, sans aucun contrôle », a signalé le porte-parole du parti en matière d’immigration, Andrés Fontecilla.
Québec n’en est pas à sa première sortie pour demander la fermeture de ce passage frontalier. En décembre, le ministre Boulet était passé par Twitter pour dénoncer la menace que poseraient les arrivées par ce point sur le système de santé québécois. L’élu s’était partiellement rétracté dans les jours suivants, et avait admis que « la qualité humaine » de son message n’était « pas optimale ».
Plus de 10 600 demandeurs d’asile se sont présentés au chemin Roxham depuis le début de l’année, selon les données du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration.
La capacité d’accueil responsable de l’État québécois a des limites »
YVES-FRANÇOIS BLANCHET