Le Devoir

Récit d’une confusion à la frontière

Deux Québécois racisés sont pris à tort pour des demandeurs d’asile par un garde frontalier... et leur chauffeur de taxi

- MARCO BÉLAIR-CIRINO À SAINT-BERNARD-DE-LACOLLE LE DEVOIR

Loin des querelles politiques, des dizaines de migrants de tous âges ont emprunté mercredi le chemin Roxham, des États-Unis au Canada, dans une chorégraph­ie (habituelle­ment) réglée au millimètre : ils sortent d’un taxi, ils traversent la frontière à pied, ils sont placés en état d’arrestatio­n, ils demandent l’asile.

Mercredi, 16 h. La minifourgo­nnette beige lettrée « Chris’s Shuttle Service », « Canadian border », « Frontier » s’immobilise sous un soleil de plomb sur le chemin Roxham, à Champlain, dans l’État de New York.

Le chauffeur ouvre la portière arrière gauche. Deux personnes racisées émergent du véhicule, puis posent les pieds sur la chaussée poussiéreu­se. De l’autre côté de la frontière, un agent de la Gendarmeri­e royale du Canada (GRC) leur demande s’ils parlent français ou anglais. « Français », dit l’homme, hésitant, tout en balayant du regard les alentours. Le policier pose de nouveau la question : « Français ? English ? » « Français », répond clairement la dame après s’être avancée vers lui.

« Vous vous trouvez à un port d’entrée illégale du Canada. Si vous traversez ici, vous allez être placés en état d’arrestatio­n », indique-t-il, suscitant l’étonnement du couple. « Je suis québécoise. […] Mon mari et moi sommes québécois », précise-t-elle.

« Bonne chance, good luck »

« Chris » avait présumé à tort que ses clients — deux personnes âgées noires qu’il comprenait difficilem­ent — comptaient franchir la frontière par le chemin Roxham, au bout duquel il dépose assidûment des personnes persuadées d’y trouver un meilleur avenir qu’aux ÉtatsUnis. L’agent de la GRC invite alors le conducteur de la fourgonnet­te à déposer les deux Canadiens au poste frontalier de Champlain–Saint-Bernard-de-Lacolle.

« Bonne chance, good luck », lance le policier aux passagers et au chauffeur avant de rejoindre ses collègues à l’intérieur du poste temporaire de toile et de tôle blanches planté à deux pas de la frontière canado-américaine.

À travers la porte vitrée, on peut voir une femme assise sur une chaise de métal répondre aux questions d’un agent tout en enlaçant son garçon vêtu d’une veste aux couleurs de l’Hommearaig­née. À travers les minces murs, on peut entendre un bébé tantôt gazouiller tantôt pleurer.

Une douzaine de migrants — pour la plupart francophon­es — sortent du bâtiment, encerclé de poteaux surmontés de caméras, pour grimper dans un minibus blanc aux vitres teintées qui les amènera vers la métropole et attendre qu’Immigratio­n Canada statue sur la recevabili­té de leur demande d’asile.

 ?? MARCO BÉLAIRCIRI­NO LE DEVOIR ?? La minifourgo­nnette de « Chris »
MARCO BÉLAIRCIRI­NO LE DEVOIR La minifourgo­nnette de « Chris »

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