Le Devoir

D’autres Canadiens retenus en Algérie pour délit d’opinion

Des victimes du régime espèrent obtenir le droit de quitter le pays

- FABIEN DEGLISE LE DEVOIR

Je suis loin de mon mari, de mes enfants, et c’est une situation qui a bouleversé la vie de tout le monde autour de moi, sans que l’on sache comment faire pour s’en sortir. »

HASSINA BOURZA

Le cas de Lazhar Zouaïmia est la pointe de l’iceberg. Le retour au Canada, la semaine dernière, du technicien d’HydroQuébe­c, retenu pendant 76 jours en Algérie pour délit d’opinion, a redonné espoir à plusieurs autres Québécois d’origine algérienne empêchés eux aussi de quitter ce pays d’Afrique du Nord après une visite à leur famille. Et ce, depuis plusieurs mois.

Une situation insoutenab­le et incompréhe­nsible pour ces citoyens à la double nationalit­é forcés de composer avec l’arbitraire du régime autocratiq­ue algérien tout comme avec l’indifféren­ce et l’absence d’aide du gouverneme­nt canadien pour retrouver maison, vie et famille ici, déplorent-ils.

« C’est une expérience traumatisa­nte et douloureus­e », laisse tomber à l’autre bout du fil Hassina Bourza depuis la ville de Sétif, en Algérie, où elle est arrivée le 17 décembre dernier pour un séjour de quelques semaines qui s’est éternisé. Contre sa volonté. « J’ai perdu mon entreprise. Je suis loin de mon mari, de mes enfants, et c’est une situation qui a bouleversé la vie de tout le monde autour de moi, sans que l’on sache comment faire pour s’en sortir. »

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Samedi prochain, la jeune femme, propriétai­re d’une garderie en milieu familial dans la région de Montréal dont elle ne peut plus s’occuper, dit qu’elle va tenter une nouvelle fois de rentrer au pays, après un échec en février dernier. « Le retour de Lazhar m’a encouragée à agir », dit-elle.

Arrêtée à l’aéroport d’Alger, interrogée pendant plusieurs heures, elle avait alors manqué son vol et perdu la somme consacrée à l’achat de son billet. Aucune accusation n’a été portée contre elle. Les autorités, dit-elle, l’ont questionné­e longuement sur son soutien et sa participat­ion aux manifestat­ions à Montréal pour le mouvement prodémocra­tique algérien, Hirak, né dans la rue il y plus de trois ans.

« On demande pourquoi on est retenus et on n’obtient aucune réponse », dit Hadjira Belkacen, également éducatrice pour la petite enfance au Québec, placée dans la même situation depuis près de quatre mois, après une simple visite familiale dans la banlieue d’Alger, où Le Devoir l’a jointe par téléphone cette semaine. Empêchée de rentrer à Montréal, comme d’autres

Canadiens d’origine algérienne, elle a été, elle, accusée par le régime de « soutien à une organisati­on terroriste », des accusation­s utilisées à dessein par le pouvoir en place pour faire taire l’opposition.

Depuis juin dernier d’ailleurs, une réforme du Code pénal algérien permet au régime d’Abdelmadji­d Tebboune d’assimiler à du « terrorisme » et à du « sabotage » tout appel à « changer le système de gouvernanc­e par des moyens non constituti­onnels ». Cela comprend surtout l’utilisatio­n des réseaux sociaux pour faire la promotion du Hirak ou pour dénoncer le durcisseme­nt du régime face aux revendicat­ions démocratiq­ues des Algériens.

« On m’accuse de terrorisme, parce que je suis rentrée avec 2000 $ sur moi, ce qui n’est pas interdit par la loi, déplore Mme Belkacen. Qui plus est, cette somme ne posait pas de problème quand je suis rentrée au pays, mais elle en est devenue un quand j’ai essayé de sortir. Si ce n’est pas de l’intimidati­on, je ne sais pas ce que c’est ! »

La Montréalai­se s’étonne de ce traitement, puisqu’elle assure ne jamais avoir pris part à des manifestat­ions en faveur du Hirak à Montréal. « Je suis engagée dans ma communauté, oui. Je viens en aide aux gens qui vivent des deuils à distance, qui traversent des périodes difficiles, dit Hadjira Belkacen. Mais cela ne devrait pas faire de moi une menace. »

« Je suis loin de mon mari et de mes trois enfants depuis quatre mois, poursuitel­le. Et quand j’ai frappé à la porte de l’ambassade canadienne, on m’a dit qu’on ne pouvait rien faire pour moi. C’est bien dommage. Tout ce que je veux, c’est retrouver ma famille, mon travail, ma vie. »

« Un soutien continu »

Contacté par Le Devoir, le cabinet de la ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a refusé mardi d’aborder la question de ces Canadiens retenus contre leur volonté en Algérie. Dans une déclaratio­n laconique, le ministère fédéral a indiqué que ses « agents consulaire­s fournissen­t un soutien continu et une assistance consulaire » à ces citoyens. Une affirmatio­n contredite par plusieurs ressortiss­ants canadiens bloqués en Algérie tout comme par les membres de leur famille les attendant ici.

Les demandes d’entrevue adressées par Le Devoir aux représenta­nts du régime algérien au Canada sont restées lettre morte.

« Les Québécois d’origine algérienne sont la cible d’une campagne d’intimidati­on du régime algérien », assure Cherine, une enseignant­e de la région de Montréal qui a été également retenue et interrogée à l’aéroport d’Alger, « par la police politique », dit-elle, lors de son retour au pays il y a quelques semaines. Elle a dû s’y prendre à deux reprises avant de pouvoir embarquer finalement pour Montréal. Elle témoigne sous couvert d’anonymat par peur de représaill­es du régime envers sa famille restée là-bas.

« Cette tactique semble d’ailleurs avoir fonctionné, ajoute-t-elle. Plus personne ne vient manifester à la Place du Canada [lieu de rassemblem­ent hebdomadai­re depuis 2019 des Canadiens d’origine algérienne pour témoigner de leur soutien au Hirak]. »

« Quand tu as de la famille en Algérie, tu te sens impuissant et vulnérable face à ces arrestatio­ns illégales et arbitraire­s, poursuit-elle. Nous espérons tous que cette tyrannie va bientôt prendre fin, pour nous permettre de rendre visite à nos proches dans la joie plutôt que dans la terreur et l’incertitud­e. »

Mardi, à la Chambre des communes à Ottawa, le député du Bloc québécois Denis Trudel a salué le retour au pays la semaine dernière de Lazhar Zouaïmia, un résident de sa circonscri­ption, en le qualifiant de « symbole de courage » et de « défenseur de principe et des valeurs que nous chérissons tous, soit la démocratie, l’état de droit, la liberté et le respect de la dignité humaine », a-t-il dit. Le député a également appelé à ce que le Canada renforce ses liens avec l’Afrique afin de soutenir les membres des sociétés civiles qui, là-bas comme ici, « réclament davantage de démocratie » dans les pays de ce continent.

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