Le Devoir

Le pis-aller canadien

- MICHEL DAVID

Le premier ministre Legault a beau exalter la « fierté » des Québécois et leur faire miroiter une plus grande autonomie, la réalité est qu’ils sont de plus en résignés à s’accommoder du Canada tel qu’il est. Depuis 1992, le Groupe de recherche sur l’opinion publique (GROP) a fourni au camp souveraini­ste des analyses portant sur divers enjeux. Il vient de publier son ultime rapport, intitulé La question nationale 30 ans plus tard : où en sommes-nous ?, qui s’accompagne d’un sondage effectué par la firme Léger en février dernier.

On y mesure notamment l’appui aux diverses options constituti­onnelles qui se sont offertes aux Québécois au fil des ans : l’indépendan­ce, la souveraine­té-associatio­n, le statut particulie­r et le statu quo.

Aujourd’hui comme hier, le premier choix des francophon­es est une formule hybride, que ce soit la souveraine­téassociat­ion (60 %) ou le statut particulie­r (68 %), c’està-dire une variante de cette mythique « troisième voie » qui ressurgit périodique­ment — et à laquelle on peut associer le nouveau projet pour les nationalis­tes du Québec de la CAQ.

Malgré leur réticence à couper les liens avec le Canada, ils ont longtemps préféré l’indépendan­ce au statu quo. En 1992, année du référendum sur l’accord de Charlottet­own, c’était le cas de 46 % des francophon­es, alors que seulement 18 % optaient pour le statu quo.

En 1995, quand 49,4 % des Québécois ont dit oui à la « souveraine­té-partenaria­t » proposée par le gouverneme­nt Parizeau, l’appui à l’indépendan­ce tout court avait grimpé à 54 % chez les francophon­es ; le statu quo, 22 %.

Au cours des années suivantes, l’écart entre les deux s’est progressiv­ement rétréci, jusqu’à atteindre le point de bascule. Aujourd’hui, 49 % des francophon­es se disent en faveur de l’indépendan­ce, mais l’appui au statu quo récolte aussi 58 %.

Ce renverseme­nt résulte sans doute moins d’une reconnaiss­ance des mérites du Canada que d’une dépolitisa­tion du sentiment d’appartenan­ce au Québec que les plus jeunes génération­s éprouvent toujours. Mais il n’en a pas moins de graves conséquenc­es sur le rapport de force dont Québec dispose — ou ne dispose plus — face à Ottawa et au reste du pays.

Aux yeux de Robert Bourassa, l’indépendan­ce constituai­t une « police d’assurance » qu’il pouvait utiliser pour forcer le Canada anglais à négocier un nouvel arrangemen­t constituti­onnel, que ce soit l’accord du lac Meech ou l’entente de Charlottet­own. On peut être d’avis qu’il a mal joué ses cartes, mais cela est une autre histoire.

Même quand la ferveur souveraini­ste a atteint un paroxysme, la majorité des Québécois ne souhaitaie­nt pas quitter le Canada, mais simplement qu’on leur témoigne un minimum de considérat­ion. L’appui massif donné à l’accord du lac Meech attestait d’ailleurs du peu qu’ils exigeaient.

Malgré tout, Ottawa est demeuré longtemps hanté par la crainte qu’un coup de sang les amène à claquer la porte. Même après le Non de 1995, on a sorti l’artillerie lourde avec la Loi sur la clarté et on a supplié Jean Charest de débarquer à Québec pour empêcher Lucien Bouchard de déclencher un autre référendum.

Bien entendu, le gouverneme­nt Trudeau a aussi ses sondages. Fini le bluff ! Il sait maintenant qu’en dépit des rebuffades et du Quebec bashing, les Québécois se sont résignés à vivre dans le Canada tel qu’il est plutôt que de prendre le risque d’une sécession. Dès lors, il n’a plus aucune raison de céder aux demandes du premier ministre Legault, qui prend d’ailleurs bien soin de ne brandir aucune menace.

Mardi, à l’Assemblée nationale, le chef parlementa­ire du PQ, Joël Arsenault, a rappelé à M. Legault que Justin Trudeau lui avait signifié sèchement qu’il n’avait « rien à cirer » de ses demandes en matière d’immigratio­n et lui a demandé comment il entendait « composer avec une telle humiliatio­n ».

Puisque la majorité des Québécois sont opposés à l’indépendan­ce, mais qu’ils seraient d’accord à ce que le Québec ait l’autorité sur la réunificat­ion familiale, le premier ministre en a conclu que la stratégie de son gouverneme­nt était préférable à celle du PQ.

M. Legault peut bien multiplier les pirouettes à la période de questions, cela ne règle pas le problème. Il le sait très bien. Mais à partir du moment où Ottawa dit non et que la population préfère vivre avec ce non plutôt que de se rebeller, que peut-il faire ?

Il est difficile de dire dans quelle mesure la désaffecti­on envers le PQ est le résultat ou la cause de la faveur grandissan­te du statu quo constituti­onnel. Pendant 50 ans, la menace qu’il a fait planer a sans doute constitué l’argument le plus efficace que pouvaient faire valoir les partisans d’une réforme en profondeur du fédéralism­e. Ils risquent de le regretter autant qu’ils l’ont détesté.

Le gouverneme­nt Trudeau a aussi ses sondages. Fini le bluff ! Il sait maintenant qu’en dépit des rebuffades et du Quebec

bashing, les Québécois se sont résignés à vivre dans le Canada tel qu’il est plutôt que de prendre le risque d’une sécession.

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