Un milliard jeté par la fenêtre
En raison de son manque de préparation, Québec a perdu un montant important dans l’achat d’équipements de protection
Le gouvernement du Québec a perdu près d’un milliard de dollars dans la course aux équipements de protection individuelle (EPI) du début de la pandémie de COVID-19 en raison de son manque de préparation à une crise d’une telle ampleur, a révélé mercredi un rapport de la vérificatrice générale du Québec.
Sous l’intertitre « Réaction tardive », Guylaine Leclerc révèle que le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) n’a effectué sa toute première commande de masques que le 18 février 2020. Pourtant, « plusieurs établissements » avaient alerté le ministère au sujet de problèmes d’approvisionnement 13 jours plus tôt, note-t-elle.
La première commande est donc arrivée près d’un mois après la déclaration du premier cas de coronavirus au Canada, le 27 janvier, et plusieurs jours après que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) eut déclaré que la COVID-19 constituait une « urgence de santé publique à portée internationale », le 30 janvier.
Le MSSS a finalement commencé les « achats massifs d’EPI » le 22 mars 2020, 11 jours après la déclaration de l’état d’urgence sanitaire par l’OMS et quatre jours après le premier décès dû à la COVID-19 au Québec.
Trois milliards en achats d’urgence
Dans l’urgence, le ministère a donc consacré plus de 3 milliards de dollars à l’achat d’EPI entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2021.
Puisque le MSSS n’avait « pas prévu de mesures suffisantes pour favoriser un approvisionnement suffisant en EPI en cas de pandémie », il a dû acquérir ceux-ci « en toute urgence pour protéger la population, alors que les prix atteignaient des sommets », note le rapport.
Puis, « l’importante baisse de valeur des EPI acquis à prix élevé lors de la pénurie mondiale de 2020 a entraîné des pertes financières pour le gouvernement de 938 millions de dollars au 31 mars 2021 », relève la vérificatrice générale. Ces pertes s’expliquent par la dépréciation de 671 millions de la valeur des stocks d’EPI, puis par la dévaluation des contrats pour l’achat d’EPI (perte de 131 millions) et de commandes payées à l’avance (perte de 136 millions).
À celles-ci s’ajoutent des poursuites judiciaires « d’un peu plus de 170 millions » qui ont été intentées contre des fournisseurs qui ont été payés, mais qui n’ont pas livré les EPI comme attendu. Cela s’explique par le fait que le gouvernement n’a pas pu « vérifier adéquatement l’intégrité des fournisseurs et la conformité de leurs produits », étant donné l’urgence d’agir.
Au Salon bleu, le premier ministre François Legault a assuré que le gouvernement s’était « ajusté » depuis 2020. « Refaire l’histoire et dire qu’on aurait dû acheter des masques avant, c’est un peu facile », a-t-il plaidé. Son ministre de la Santé, Christian Dubé, a quant à lui reconnu « qu’on n’était pas prêts » lors de la première vague. Mais « on a agi assez rapidement avec la deuxième », a-t-il souligné.
Des plans d’urgence désuets
L’audit de la vérificatrice générale Guylaine Leclerc mène à un autre constat clair : les plans d’urgence sanitaire du ministère de la Santé « n’avaient pas été mis à jour depuis plus de dix ans et se sont vite avérés insuffisants » pour faire face à une pandémie.
Comme l’ont révélé les audiences de la coroner Géhane Kamel sur les décès en CHSLD, le gouvernement n’avait pas actualisé son plan de lutte contre une pandémie d’influenza depuis 2006, bien que le MSSS ait demandé que cela soit fait en 2012, à la suite de la crise de la grippe H1N1.
Le Québec ne disposait d’ailleurs d’aucune réserve nationale de matériel utile durant une épidémie lorsque la première vague a frappé, bien que la mesure était inscrite dans le plan de 2006. Pire : le MSSS a décidé en 2010 d’écouler les EPI restants dans sa réserve, sans expliquer les motifs de la décision.
À l’arrivée de la COVID-19, « le MSSS n’avait prévu aucune mesure pour faciliter l’approvisionnement en EPI du réseau en cas de pandémie », écrit Mme Leclerc dans son rapport. « L’absence d’une information complète, fiable et à jour sur les stocks et la consommation d’EPI a nui à une prise de décision éclairée », relève-telle aussi.
Vu cela — et vu l’absence d’un plan de pandémie à jour — , le ministère « aurait dû réagir plus rapidement devant les signes avant-coureurs de l’apparition de la maladie au Québec », juge-t-elle.
À ce jour, le Québec ne dispose d’ailleurs toujours pas de réserve, a confirmé le directeur général d’audit Alain Fortin mercredi. Le gouvernement a néanmoins conclu une entente avec l’entreprise Médicom pour la production locale de masques. L’important, a souligné Mme Leclerc, est qu’« il y a un mécanisme pour favoriser l’obtention d’EPI ».
La vérificatrice générale note également que le manque d’information quant aux besoins en EPI était tel que le gouvernement avait décidé d’en limiter l’accès dans les CHSLD et les résidences pour aînés au début de la pandémie, puisque ceux-ci « n’étaient pas considérés dans les priorités » du MSSS. Leur « niveau de priorité » a finalement été relevé le 23 mars 2020 et le 7 avril 2020, respectivement.