Le Devoir

Nier l’Holocauste est un crime raciste

Me Richard Marceau, viceprésid­ent du Centre consultati­f des relations juives et israélienn­es (CIJA), et Me Emmanuelle Amar, directrice, Recherche et politiques publiques (Québec) au CIJA

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Dans sa Loi d’exécution du budget de 2022 déposée le 28 avril, le gouverneme­nt fédéral a inclus des dispositio­ns criminalis­ant la négation de l’Holocauste. Non seulement nous applaudiss­ons cette initiative, nous l’avons aussi appelée de tous nos voeux depuis un certain temps.

Déjà en février dernier, le député conservate­ur Kevin Waugh (Saskatoon–Grasswood) avait présenté le projet de loi C-250 sur le sujet, permettant alors de mettre la question au premier plan à la Chambre des communes, et, avec les engagement­s pris dans le budget 2022, force est de constater que cette mesure importante dans la lutte contre l’antisémiti­sme reçoit un vaste appui parmi les élus.

La Shoah est un des faits historique­s les plus documentés de l’histoire humaine, par les perpétrate­urs et les victimes. Comme l’a affirmé Me Martin Imbleau dans les pages du Devoir du 16 mars 2007 : « Le négationni­sme est une forme d’antisémiti­sme et de racisme. »

Ainsi, nier la Shoah est un indicateur, oui, de la haine du Juif. Mais c’est aussi un troublant marqueur de radicalisa­tion, dont la société dans son ensemble fera un jour immanquabl­ement les frais.

Ce qui commence par les Juifs ne finit jamais avec les Juifs.

La question n’est donc pas de savoir si la négation de l’Holocauste est choquante, offensante ou blessante.

Selon les dernières données de Statistiqu­e Canada, les Juifs représente­nt 1 % de la population canadienne, mais sont pourtant la cible de 62 % des crimes haineux reportés dirigés vers un groupe religieux. Comme l’a affirmé en entrevue au Devoir en juin 2021 Irwin Cotler, ex-ministre fédéral de la Justice et envoyé spécial du Canada pour la préservati­on de la mémoire de l’Holocauste et la lutte contre l’antisémiti­sme, l’antisémiti­sme a atteint un niveau jamais vu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Les sources de l’antisémiti­sme sont multiples. La haine du Juif peut évidemment émaner de l’extrême droite, mais aussi de l’extrême gauche de même que des cercles islamistes extrémiste­s, tel que l’a montré une enquête en profondeur de l’Union européenne.

C’est pourquoi il est nécessaire de nous doter de plusieurs instrument­s afin de lutter contre ce cancer. L’interdicti­on de la négation de l’Holocauste est un de ces instrument­s.

Nous sommes d’avis que ceci peut se faire tout en respectant la liberté d’expression protégée tant par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec que par la Charte canadienne des droits et libertés.

D’autres pays démocratiq­ues avec d’aussi solides protection­s des libertés que nous, tels que la France, la Belgique, l’Allemagne et la République tchèque, ont interdit la négation de l’Holocauste, car c’est une forme de discours haineux. En janvier dernier, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution contre la négation de l’Holocauste.

L’antisémiti­sme évolue et mue selon les lieux et les époques. Les Juifs ont été — et sont — attaqués pour leurs croyances religieuse­s, pour leur identité comme minorité ethnique ou nationale, pour leur applicatio­n du droit à l’autodéterm­ination. C’est pourquoi notre boîte à outils collective doit inclure une variété d’outils pour lutter contre cette idéologie toxique et pernicieus­e.

Nous pensons notamment à l’inclusion de l’Holocauste dans le programme scolaire, une stratégie efficace et musclée pour lutter contre la haine en ligne incluant un régime réglementa­ire indépendan­t et l’obligation faite aux réseaux sociaux d’être les premiers répondeurs pour lutter contre la haine sur leurs plateforme­s, de l’aide financière pour la mise en place d’un programme semblable au Community Security Trust britanniqu­e, une meilleure formation des forces de l’ordre, des procureurs et des juges pour lutter contre les crimes haineux.

La lutte contre l’antisémiti­sme nécessite un engagement de tous les secteurs de la société, appuyés par des autorités publiques volontaire­s. L’interdicti­on de la négation de l’Holocauste est primordial­e à ce défi. Comme l’écrivait Imbleau cité plus haut : « L’équation est simple : pour réhabilite­r la pensée raciste, la tache qu’est la Shoah doit disparaîtr­e. » C’est ce que nous ne pouvons laisser arriver.

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